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prit qui casse des vitres pour s’amuser et qui se moque parfaitement de ses cliens, italiens et polonais. » Sainte-Beuve prononçait des discours, où il épanchait sa bile et son mépris ; il parlait non pour convaincre, mais pour blesser, faisant à chaque phrase une nouvelle victime et un nouvel ennemi. Seul, Dupin s’exprimait en homme politique et en juriste constitutionnel. Inutile de dire ce que Mérimée pensait des champions du parti adverse, des Ségur d’Aguesseau, des La Rochejaquelein et des Bonnechose.

Lorsqu’il proposait d’enfermer Pie IX et Garibaldi dans une île déserte, afin que « les deux vieux entêtés » pussent s’entre-manger comme les fameux chats de Kilkenny, dont on ne retrouva que les queues sur le champ de bataille, il n’imaginait pas, sans doute, que cette boutade fût une solution. Que souhaitait il ? Que l’empereur fît sentir sa volonté, comme autrefois. Mais les temps étaient changés ; la politique de l’empereur était maintenant l’équilibre, l’immobilité qui résulte de deux forces égales, se mouvant en sens contraire. Au moment où parurent les décrets du 24 novembre, Mérimée était à Cannes : aucun renseignement, aucun commentaire ne l’aida à deviner la pensée impériale. Il crut d’abord que Napoléon III, en restituant le droit d’adresse aux corps délibérans, avait voulu montrer la France partagée, sur la question de Rome, entre deux opinions contraires et se faire conseiller par les uns comme par les autres la politique de non-intervention que les sourdes menaces de la Prusse et les criailleries anglaises rendaient opportune et prudente. Bientôt Mérimée reconnut qu’il s’agissait d’un plan plus vaste et qu’on était entré dans une phase nouvelle. Il eut horreur de cette chose qu’on appela l’empire libéral et dont le nom seul lui paraissait une antinomie. Il caractérisait la situation par une comparaison : « Arlequin donne à ses enfans un tambour et une trompette, en leur disant : « Amusez-vous, mais ne faites pas de bruit. » Il prévoyait que le pays, après avoir reçu des libertés qu’il ne demandait pas, en réclamerait qu’on ne voudrait pas lui accorder.

Lorsque l’empereur voulut remplacer l’adresse par le droit d’interpellation et qu’un sénatus-consulte, en ce sens, fut présenté au Luxembourg, Mérimée vit dans cette mesure le retour aux pires erremens du parlementarisme, sans aucune des précautions qui en limitent et en règlent le fonctionnement. Il mit ses inquiétudes raisonnées dans une lettre qu’il adressa à l’impératrice et attendit le résultat de sa hardiesse, qu’il jugeait grande. La lettre fut montrée à l’empereur qui semble en avoir tenu compte, car le sénatus-consulte fut profondément remanié. Bientôt M. Rouher fit savoir à Mérimée qu’on se disposait à lui offrir la croix de