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Louis-Napoléon[1]. » Bientôt il eut à modifier sa première impression. Quelques jours après le scrutin du 10 décembre, il écrivait : « L’illusion de Cavaignac a passé l’aveuglement de tous ses prédécesseurs. Jusqu’au dernier moment, il a cru avoir la majorité. On se perd en conjectures sur le nouveau président. Il étonne tous ceux qui l’approchent par cet air de self-conscience particulier aux légitimes. Il est le seul que son élection n’ait pas surpris. D’ailleurs on le dit entêté et résolu. À l’enthousiasme des premiers jours de sa nomination a succédé une curiosité silencieuse. On se demande comment il s’en tirera, mais nul ne se hasarde à faire des prédictions. La chambre flotte entre sa mauvaise humeur et sa platitude. Elle voudrait rester et se cramponne à ses banquettes malgré le mépris général qu’elle a soulevé. Je ne crois pas qu’il faille en venir à un coup d’État pour en délivrer le pays[2]. »

Quant à lui, il essayait de reprendre ses travaux littéraires, si longtemps troublés. « J’apprends le russe, disait-il. Peut-être cela me servirait-il un jour à parler aux Cosaques dans les Tuileries. » Il prenait tristement congé de cette cruelle année où les épreuves intimes s’étaient jointes, pour lui, aux malheurs publics et aux dangers de la rue. « Je suis découragé, sans espoir pour l’avenir… Je voudrais être auprès de vous, mon amie, et vous conter toutes mes douleurs. Il n’y a que vous au monde à qui je puisse dire tout cela ; il n’y a que vous qui puissiez me donner quelques consolations, car vous avez du cœur et de la tête, et, de ce côté des Pyrénées, je ne sache personne qui ait l’un ou l’autre. »

L’année suivante, il avait repris toutes ses occupations. Il s’excusait de son retard à répondre à M. Stapfer sur « la paresse bien naturelle à un homme qui fait partie de huit commissions[3]. » En 1851, il passa le détroit pour aller voir l’exposition universelle et refaire connaissance avec ses amis les Anglais. Beaucoup de choses le charmèrent, d’autres lui déplurent : ses lettres à la comtesse de Montijo et à Mlle Dacquin trahissent ces impressions opposées, mais également justes. Il appréciait l’esprit d’ordre, la commodité parfaite, la perfection des arrangemens matériels ; le jargon religieux et la fausse bonté le dégoûtaient et l’ennuyaient, comme ils ont, depuis, ennuyé ou dégoûté d’autres Français, jetés par leur libre fantaisie ou leur mauvais destin sur les blanches falaises d’Albion. Le clergyman lui faisait aimer le capucin, son vieil ennemi. D’autre part, il reconnaissait que « tout ce qui peut

  1. Correspondance inédite avec Albert Stapfer, 16 octobre 1848.
  2. Correspondance inédite avec la comtesse de Montijo, 25 décembre 1848.
  3. Correspondance inédite avec Albert Stapfer, 12 novembre 1849.