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étaient pleins, Mérimée l’appelait « monsieur, » et lui parlait de ses ouvrages comme s’ils ne les avaient lus ni l’un ni l’autre. Si le discours de réception m’a semblé pâle, que dire de celui-ci ? Un seul mot : on n’y voit ni Mérimée ni Ampère. En terminant, là où les académiciens d’autrefois plaçaient l’éloge du souverain, Mérimée glissa quelques allusions à cette terrible politique qui pesait sur toutes les pensées, une phrase sur la république qui était un conseil sous la forme d’un éloge : « Pour conquérir les sympathies de l’Europe, elle n’a qu’à déployer sa bannière et à y montrer ces deux mots écrits : « Ordre et Liberté. »

Cette banalité était une hardiesse, comme on le vit quelques semaines plus tard. Échangeant de nouveau la défroque académique contre la tunique bleue à liséré rouge, Mérimée eut à soutenir sa péroraison les armes à la main. « Chère comtesse, écrivait-il le 28 juin, voilà cinq jours que je vis et couche sur le pavé des rues, avec tout ce qu’il y a d’honnêtes gens à Paris. Je rentre enfin chez moi et ne perds pas un moment pour vous écrire. Nous l’avons échappé belle. Toute cette armée révolutionnaire, organisée par Lamartine et Ledru-Rollin et prêchée par Louis Blanc, s’est enfin mise en mouvement, et peu s’en est fallu qu’elle ne triomphât. Heureusement telle était leur folie qu’ils ont mis sur leur drapeau la devise du communisme, qui devait soulever contre eux toute la saine population. Au milieu de cette bataille acharnée de quatre jours, pas un cri ne s’est fait entendre en faveur d’un prétendant quelconque et, à vrai dire, on ne s’est battu que pour prendre et pour conserver. Pour les insurgés, il s’agissait de piller Paris et d’y établir un gouvernement de guillotine ; pour nous, de défendre notre peau. »

« Les insurgés étaient nombreux, parfaitement organisés et bien pourvus d’armes et de munitions. En quelques heures, ils ont été maîtres du tiers de la ville et s’y sont fortifiés par des barricades admirablement construites, quelques-unes s’élevant à la hauteur des premiers étages. La garde nationale a donné d’abord ; elle a perdu beaucoup de monde, mais elle a entraîné les soldats et la garde mobile, sur la fidélité de laquelle on avait de sérieuses inquiétudes. Ce corps, composé de gamins de Paris, exercé depuis quatre mois et devenu très militaire par la facilité qu’a le Parisien à se transformer en soldat, comprenait de 15 à 18,000 hommes. Il s’est admirablement comporté et a fait merveille. Nous avons eu, dans ces cruelles journées, tous les traits d’héroïsme et de férocité que l’imagination puisse concevoir. Les insurgés massacraient leurs prisonniers, leur coupaient les pieds et les mains. Parmi un convoi de prisonniers que notre compagnie a conduits à l’Abbaye, il