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tions inouies. Que l’orchestre en sa course eftleure seulement une harmonie ou une note féconde, il en fait jaillir aussitôt de merveilleuses floraisons. Partout bouillonne la sève ; les motifs se multiplient et se combinent ; la vie est portée au comble comme si elle allait éclater. Elle éclate en effet, quand Sieglinde salue le héros enfin reconnu, de son vrai nom, Siegmund. Superbe l’apostrophe à l’épée encore plantée dans l’écorce ; superbes ces notes de ténor, plantées aussi dans l’orchestre frémissant, dans les harmonies qui, de plus en plus, étreignent la voix jusqu’à ce que la voix s’arrache d’elles, en même temps que du tronc est arraché le glaive. Et voici l’explosion dernière, tous les thèmes déchaînés à plein orchestre, ivres pour ainsi dire d’eux-mêmes, et poursuivant de leur symphonie frénétique la fuite de Siegmund et de Sieglinde à travers la forêt.

Maintenant un désert s’ouvre devant nous. Qui veut connaître à fond l’ennui, la stupeur, l’hébétement, après l’enthousiasme wagnérien, celui-là doit écouter attentivement, paroles et musique, les quatre cinquièmes du second acte de la Walkyrie. Paroles d’abord : Wotan ordonne à sa fille Brunnhilde de protéger Siegmund, le ravisseur, contre Hunding qui le poursuit. Mais Fricka, femme de Wotan, la Junon du Nord, étant venue au nom de la morale sommer son époux de punir et non de sauver les coupables, Wotan cède après discussion et donne contre-ordre à Brunnhilde : c’est pour Hunding qu’elle devra décidément combattre. Vous savez la suite : Brunnhilde voit Siegmund et Sieglinde et s’émeut à leur vue ; elle comprend l’amour, elle a pitié de la souffrance et, dans le duel, elle secourt Siegmund. Wotan lui-même est obligé d’intervenir ; il frappe Siegmund (Hunding aussi, d’ailleurs), et Brunnhilde s’enfuit, emportant Sieglinde éperdue. Cet acte, encore une fois, est un abîme d’ennui. Il se passe presque tout entier en conversations : une de vingt-deux pages, entre Wotan et Fricka sur la morale conjugale ; une autre, de trente pages, entre Wotan et Brunnhilde sur l’Or du Rhin ; une troisième, entre Siegmund et Sieglinde, laquelle finit par s’endormir ; une quatrième, entre Brunnhilde et Siegmund, et cette dernière est d’une très grande beauté. Mais les autres ! Le récitatif wagnérien y sévit sans pitié ; il y promène sa mélopée errante, que rien ne détermine et que rien ne fixe, sa perpétuelle tendance et ses formes fuyantes, qui deviennent toujours et ne sont jamais. « Si du moins, comme écrivait de Bayreuth, exaspéré par ce second acte, M. Paul Lindau, si, du moins, dans cet éternel dialogue, ou plutôt dans cet éternel monologue d’un personnage en présence d’un autre, on sortait une seule fois du domaine de la déclamation musicale ! S’il ne fallait pas entendre toujours et toujours ces terribles leitmotive ! Une seule fois, donnez-nous, je vous prie, ce que nous autres, gens dépourvus de goût, nous appelons une mélodie… Ma