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la lassitude et l’attente. Mais l’orchestre bientôt dit avec effusion l’empressement de Sieglinde et le bienfait de l’onde aspirée à longs traits. Puis les yeux de Siegmund désaltéré s’arrêtent sur ceux de la blanche sommelière. Écoutez alors les violoncelles exposer pour la première fois le motif d’amour. Retenez bien ces quelques notes caractéristiques, cette courte inflexion. C’est un des germes, un des microbes générateurs de l’acte tout entier. Introduit ici dans l’organisme sonore, nous allons le voir s’y répandre et s’y multiplier. Quatre pages plus loin, nous le voyons déjà. Lorsque Sieglinde présente à Siegmund après l’eau pure, l’hydromel, le motif revient, s’accuse par des sonorités plus claires, par un plus ample développement. C’en est fait : entre le héros et la jeune femme, l’amour est né, comme il naît toujours chez Wagner, d’un regard, d’un geste, et d’une phrase d’orchestre ; de ce qu’on appelait jadis une ritournelle. Le retour de Hunding, le mari ; l’entretien pendant le souper ; l’autobiographie de Siegmund ; la découverte de l’inimitié des deux hommes, et le congé donné pour le lendemain matin par Hunding à son hôte, tout cela appartient au genre ennuyeux ; mais ce qui suit : la muette sortie de Sieglinde, et surtout le monologue de Siegmund, au genre sublime. À pas lents, après avoir désigné du regard à Siegmund le tronc du frêne, la jeune femme se retire, et Siegmund resté seul s’étend sur le sol ; la cabane n’est plus éclairée que par le reflet du foyer expirant. Le proscrit en sa misère rêve à de glorieux destins qui lui furent prédits, à une épée invincible que lui promit son père pour le jour du danger. Il est venu, ce jour, et l’orchestre en exprime l’horreur. Sous la pulsation continue des timbales on entend sourdre des notes sombres, les notes montantes d’un accord qui semble encore se chercher ; le battement des timbales redouble, se précipite. « Mon père ! s’écrie alors Siegmund d’un cri héroïque, où est ton glaive ! » et le glaive apparaît. La poignée de feu jaillit de l’écorce, et de l’orchestre jaillit en notes de feu aussi le thème élaboré dans l’ombre et maintenant étincelant. Il brille, il brûle, et le frisson des violons environne d’un nimbe l’éclat aigu de la trompette. Le thème sonne, il sonne encore, tantôt attisé et comme rougi à blanc par l’instrumentation plus chaude, tantôt aminci, réduit à n’être plus qu’une ligne de feu par le timbre grêle du hautbois. Des cors l’enveloppent de douceur et de mystère ; les modulations fuyantes, les cadences évitées, lui prêtent la langueur et jusqu’au sourire charmant de la mélancolie. La poésie égale ici la musique. Rien de plus gracieux que l’illusion de Siegmund croyant trouver sur l’écorce illuminée du frêne un regard attardé de la femme qu’il aime déjà. À la signification pittoresque et matérielle du motif de l’épée s’ajoute encore la signification morale. Les variations dans l’incandescence da thème répondent aux alternatives d’espérance et de doute que traverse l’âme de