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cette plaine verdâtre, dans ce ciel gris, soit plus française qu’espagnole, mais don Quichotte n’est-il pas de tous les pays et cette solitude ouverte ne se prête-t-elle pas à toutes les rêveries d’aventures ? Mon imagination flotte encore, sans peine, à la suite de l’apparition en robe blanche, la Légende qui s’envole au-dessus d’une vallée humide. Dans les deux cas, il s’agit d’ailleurs, avant tout, de paysages bien définis, bien étudiés ; l’artiste n’y a introduit une figurine que pour mieux en accentuer la signification.

D’autres fois, au contraire, c’est le peintre d’histoire qui associe, dans une large mesure, un paysage explicatif à ses personnages pour préciser leur rôle et affirmer leur caractère. Les trois Troubadours en longues robes rouges que M. Henri Martin nous montre arrêtés et s’entretenant dans une sapinière, assez mal bâtis comme ils sont, nous demeureraient indifférens si, à travers les branchages supérieurs de la haute futaie, ne glissait une nappe de lumière d’or qui transforme toute la scène. Cette lumière, pénétrant les profondeurs des bois, en fait comprendre l’étendue, la solitude, le silence, et l’on s’explique l’éblouissement qu’éprouvent, sous cette splendeur divine, les poètes aux cœurs exaltés, éblouissement qui leur permet de deviner dans cette lueur d’en haut l’essor vague et harmonieux des muses en robes blanches. L’impression est extrêmement poétique, très juste et très observée. Pourquoi, hélas ! faut-il toujours avoir à protester contre l’insuffisance avec laquelle M. Henri Martin continue à dessiner et à modeler ses figures et contre l’étrangeté mesquine de ses procédés d’exécution ? Sa façon très personnelle de concevoir les choses mériterait d’être servie par un instrument mieux conduit, et il est à craindre, s’il persiste dans cette voie, qu’il ne produise que des œuvres éphémères dont l’avenir, moins indulgent, constatera seulement les pauvretés lamentables d’exécution, sans tenir compte, comme nous le pouvons faire, des excellentes intentions.

Le sentiment du paysage se manifeste encore dans quelques autres toiles d’histoire ou de genre historique, où son intervention est des plus heureuses. Dans le Soir à Nazareth de M. Paul Leroy, où la figure de Marie est de grandeur naturelle comme celle des troubadours dans la toile de M. Henri Martin, le paysage est même presque tout. La jeune femme d’Orient qui rêve, assise, les pieds pendans, sur le parapet de sa terrasse, ne tient guère de place, en vérité, dans ce grand espace silencieux où les sommets plats des toitures en maçonneries blanchissent à perte de vue, çà et là nuancées par des ombres délicates qui tombent de leurs saillies légères ou que projettent quelques groupes de palmiers. Tout le charme de cette toile, d’ailleurs un peu trop grande, est dans le recueillement exquis de la lumière aux approches de la nuit que M. Paul