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personne plus douce ni plus aimable. » Quelques jours après, le vieux chancelier, dont il était le convive une fois la semaine, lui montrait une espèce de journal de Mme  de Praslin, daté du 17 juin, précisément deux mois avant sa mort. « Elle parle de scènes terribles avec son mari pour le renvoi de cette gouvernante et à chaque page perce un pressentiment fatal. Il est impossible de rien lire de plus navrant. Elle s’abandonne tristement à l’avenir et ne pense qu’à ses enfans et à son devoir… » Mérimée ajoute : « Le chancelier se plaint amèrement de la bêtise des procureurs du roi qui, tout étourdis d’avoir à instrumenter contre un duc et pair, l’ont laissé à peu près libre pendant six heures après le meurtre… Voyez la courtisanerie de nos gens qui ont culbuté un trône il y a dix-sept ans. Lorsque les gens de justice se sont présentés pour dresser le procès-verbal de décès du duc de Praslin, ils avaient mis qu’il était mort rue de Vaugirard, tel numéro. C’est le chancelier qui a été très ferme dans toute cette affaire, qui a exigé qu’on mît qu’il était mort dans la prison du Luxembourg où il était détenu. Cependant le roi, c’est une justice à lui rendre, pressait l’instruction et avait recommandé de poursuivre avec la dernière rigueur. Mais ces imbéciles de robins, quand ils n’ont pas affaire à un échappé de galères, sont à plat ventre devant un grand nom[1]. »

Cette année, Mérimée avait quitté la rue des Beaux-Arts pour venir habiter 18, rue Jacob, dans un appartement qui « donnait sur des jardins. » Donner sur des jardins ! N’est-ce pas le rêve du Parisien, homme d’étude ? Mais le nouveau logis contiendrait-il tout ce qu’avait tenu l’ancien ? En passant la revue de ses livres, Mérimée se découvrit possesseur de mille choses qu’il ignorait et en chercha vainement d’autres qu’il croyait avoir. Enfin le voici, dans son appartement, « lui, sa mère, ses chats et ses livres. » Comme tout est encore dans le chaos, il va dîner « chez le traiteur, » où sa côtelette fait scandale, car c’est justement le vendredi saint.

On devait l’envoyer, dans l’automne de 1847, faire une inspection en Algérie, où « nos officiers, dit-il, détruisent les monumens romains ou arabes avec une grande impartialité[2]. » Le tableau qu’il se faisait à l’avance de notre colonie ne l’exposait, on en conviendra, à aucune désillusion. « Elle est peuplée, dit-il, des gens qu’on a négligé de pendre dans leur pays. Quant aux Bédouins, ils ne valent guère mieux que les chrétiens et ont plus de poux[3]. » Mais son ami, M. de Laborde, devait l’accompagner dans ce voyage et Mérimée se proposait, « s’il avait assez d’argent, » de revenir par l’Andalousie. À Alger, une gracieuse

  1. Correspondance inédite, août 1847.
  2. Ibid., 3 juillet 1847.
  3. Ibid.