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LA NAVIGATION AÉRIENNE.

On a vu, sans doute, en un jour d’orage, une mince ardoise arrachée de quelque toit, d’abord courir horizontalement souvent à une assez grande distance, descendre ensuite obliquement, comme si elle eût glissé sur un invisible plan incliné, et venir, avec une vitesse ralentie, se poser sur le sol, souvent fort loin du point d’où elle était partie. Cette ardoise n’est pas autre chose qu’un aéroplane. Le cerl-volant en est un autre. Un plan lourd peut donc rester suspendu dans les airs, s’y appuyer comme fait l’oiseau quand il plane les ailes étendues. Si, par un procédé quelconque, on pouvait y adjoindre une source suffisante de force motrice, agissant sur des organes de propulsion convenablement installés, ne pourrait-on alors le mouvoir, le diriger, lui confier une nacelle ? Que faut-il pour cela ? Un moteur léger, une hélice d’une action efficace, comme pour e Dirigeable, et surtout la connaissance exacte des lois de la résistance de l’air et des réactions qui en résultent. C’est ce qu’en divers pays cherchent des expérimentateurs fort habiles qui consacrent à cette étude difficile beaucoup de temps, d’ingéniosité et d’argent. Il y en a en Allemagne : on dit que le tsar s’en préoccupe ; plusieurs Français s’y sont adonnés, y compris M. Marey, dont les délicates méthodes et les merveilleux appareils, tout en ayant pour but principal l’étude du vol des oiseaux, serviront utilement la cause de l’aéroplane.

Mais c’est en ce moment des Anglo-Saxons que nous viennent sur ce point, je ne dirai pas encore des lumières nouvelles, mais les marques du zèle le plus ardent. Notre Académie des Sciences a entendu, il y a quelque temps, la lecture d’un savant mémoire de M. Langley, astronome et physicien du Smithsonian Institution de Washington. Dans des expériences installées avec un soin merveilleux, où tous les faits étaient enregistrés avec une minutieuse exactitude par des appareils d’une sensibilité raffinée, le savant américain a cherché à déterminer, autant qu’il pouvait le faire, les relations qui existent entre la forme, la superficie, le poids, l’inclinaison et la vitesse d’un aéroplane, et la pression qui, s’exerçant sur sa face inférieure, tend à le soutenir en l’air. Il s’est également occupé de déterminer l’effet utile de l’hélice en tenant compte de sa forme, de ses dimensions, du nombre de ses branches et de sa vitesse. — M. Phiiipps, en Angleterre, a fait, dans le même dessein, des expériences qui, en ce moment même, excitent fort la curiosité de l’autre côté du détroit : — « Nous avons eu la satisfaction de voir cet appareil s’élever en l’air à la hauteur de 0m, 60 à 0m, 90 et voler sur un espace de 45 à 60 mètres, » — disait, il y a quelques semaines, un témoin des expériences de M. Philipps[1]. Mais consciencieux

  1. Engineering, 15 avril 1893.