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LA NAVIGATION AÉRIENNE.

ballon. — Des explorateurs, émules peut-être de Binger et de Monteil, à l’heure même où l’apparition du Dirigeable semble consommer la disgrâce du sphéroïde primitif, veulent cependant faire concourir à leurs desseins ce serviteur dédaigné. Il ne lui faut, après tout, ni machine, ni combustible. Il sera le voilier de cette flotte aérienne dont son superbe rival va devenir le steamer. Au lieu de lutter, comme lui, contre les vents, il leur obéira. Mais il saura choisir son maître. L’étude des courans atmosphériques a donné à deux ingénieurs dont l’audace égale le talent une espérance, bientôt transformée en conviction, croyons-nous, par l’enthousiasme et l’amour d’un certain extraordinaire. Ils trouveront, assurent-ils, pour les porter d’un borda l’autre des continens, par-dessus plaines, monts et vallées, des vents d’allure régulière, sorte d’alizés terrestres, soufflant à époques fixes, d’Orient en Occident. — Portés par un ballon armé et équipé pour de véritables voyages au long cours, ils se veulent confier à ces fleuves aériens dont ils auront été les premiers hydrographes. En quarante jours, ils auront traversé le continent noir et contemplé de haut ces sommets inaccessibles que Stanley ne voulut point gravir. Il leur faudra moins de temps pour franchir les Andes et de l’Atlantique arriver au Pacifique. Surprendre les richesses qui se cachent peut-être encore dans les déserts inhospitaliers de l’aurifère Australie ne sera pour eux qu’une affaire de quelques jours :

Ils vont : l’Afrique plonge au gouffre flagellé,
Puis l’Asie,… un désert… Le Liban ceint de brume.
Et voici qu’apparaît, toute blanche d’écume,
La mer mystérieuse où vint sombrer Hellé.

L’entreprise n’est pas sans difficulté et offre plus d’un hasard. Mais ceux qui l’ont conçue sont gens de ressources. Ils croient avoir tout prévu. L’enveloppe de leur aérostat, faite d’une octuple baudruche, ne laissera se perdre en un jour que quelques grammes du gaz le plus subtil. Un long cordage en acier, ce que leurs confrères anglais appellent un guiderope, et que, de la nacelle, on allonge ou l’on rentre à volonté, réglera en traînant sur le sol les oscillations verticales du sphéroïde, permettra d’économiser le lest. Les aéronautes pourront jeter l’ancre, mouiller quand le vent leur sera contraire, appareiller de nouveau aussitôt qu’il redeviendra favorable. Ils comptent faire quelques relâches et renouveler leurs provisions en troquant du haut de leur nacelle avec les sujets de quelque Behanzin,