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militaire et grand seigneur. La moustache sera longue et pendante, chose très utile à plusieurs points de vue : si quelque ordure est tombée dans le verre sans qu’on s’en aperçoive, les poils et la barbe l’arrêteront au passage et l’empêcheront de pénétrer plus avant ; en outre, la moustache servira de filtre pour clarifier le vin qui coulera plus pur dans le gosier. » La jeune fille portera « des chaussures crottées, c’est la marque d’une fille laborieuse. Elle plantera sa coiffure de fleurs sur le nez ; pour quel motif ? innocente que tu es, ces fleurs parfumeront délicieusement tes narines, au lieu de s’évaporer dans l’air… »

Mais l’heure est venue de se mettre à table ; grosse affaire pour nos bons aïeux, surtout pour les Allemands, mangeurs et buveurs déterminés. Dedekind est leur compatriote, il les connaît par le menu et n’avance aucun fait, — il a soin de le déclarer dans sa préface, — dont il n’ait été témoin. Son répertoire de préceptes ne laisse rien à désirer ; j’en traduis quelques-uns au hasard, sauf à résumer les commentaires qui sont interminables.

« Choisir toujours la meilleure place ; pourquoi la céder à un autre ? Ne sommes-nous pas tous sortis du même limon, ombre et poussière les uns comme les autres ? — Si l’on arrive en retard, il faut expulser un des convives de son poste ; s’il hésite, l’arracher de force en le prenant par le cou ; Caton lui-même ordonne de céder au plus fort ; — Lâcher la ceinture pour que le ventre se répande à l’aise, sans cependant débrider tout à la fois ; on s’y prendra graduellement pendant le repas. — Plonger les deux mains dans les écuelles ; nettoyer son assiette avec la nappe ; — retirer son soulier pour repasser son couteau ; à ceux qui s’étonnent, répondre que c’est votre habitude. — Si l’on tarde à servir, inventer des passe-temps ingénieux, par exemple, couvrir d’arabesques à la pointe du couteau les plats d’argent ciselés, piquer la nappe à coups redoublés, frapper bruyamment le réchaud avec son couteau ; ce procédé a deux avantages : d’abord les oreilles délicates sont charmées d’une musique imprévue ; ensuite le cuisinier et le maître de maison seront prévenus et se corrigeront à l’avenir. — Casser les noix avec le poing, d’un seul coup ; la table tremble, la vaisselle saute en l’air, les verres se brisent, les bouteilles se renversent, et chacun est émerveillé de tant de puissance… — Avoir soin de déposer toujours les écales dans l’assiette du voisin. »

Le dîner terminé, voici le moment de montrer son caractère aimable et facétieux. Grobianus « se mêle à tous les groupes, intervient à tort et à travers, par le haut, critique, tranche sur les questions, ne cède à personne ; grandia de minimis movet certamina