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thie intellectuelle fait un pas de plus, la distance diminue encore entre le sujet et le souverain, lorsque le César moderne entreprend l’histoire de l’ancien et qu’il associe Mérimée à cette œuvre. M. de Loménie nous fait comprendre, dans son discours de réception, que la Vie de César de Napoléon III a coûté au public la Vie de César par Mérimée, que celle-ci, devenue un simple mémoire à consulter, a été absorbée par celle-là, au détriment de la postérité. Il croit même avoir tenu dans ses mains un fragment de l’œuvre inédite, trouvée aux Tuileries après le 4 septembre. Où serait donc aujourd’hui ce fragment ? M. Tourneux l’a vainement cherché parmi les papiers que l’État a conservés, et je suis en mesure d’assurer qu’aucun manuscrit de cette nature n’a été remis par les liquidateurs de la liste civile à l’empereur ou à ses héritiers[1]. M. de Loménie n’a donc tenu qu’un de ces travaux dont Mérimée parle fréquemment à Panizzi, soit l’étude sur la religion des Romains, soit l’analyse du travail de Hurtado sur la bataille de Munda, soit tout autre écrit de ce genre, et, si quelque chose excuse son erreur, c’est le soin, la conscience, le fini que Mérimée apportait en ces modestes besognes comme autrefois dans ses rapports administratifs, et qui en faisaient de véritables traités sur la matière.

Dans ses lettres, il raconte, avec un plaisir visible, certaine excursion archéologique, faite aux fouilles d’Alise-Sainte-Reine avec son impérial confrère, et où il put déployer sa sagacité et son expérience tout à loisir. En somme, cette collaboration ne lui laissa que des souvenirs agréables. Je suis probablement le dernier écrivain qui ait eu l’honneur de travailler pour l’empereur, et je puis lui rendre ce témoignage que rien n’égalait la bonne grâce et la bonne foi avec laquelle il accueillait soit des suggestions de détail, soit des vues nouvelles, même quand elles ne coïncidaient pas entièrement avec les siennes. J’ai eu l’infinie tristesse de l’assister dans la rédaction d’un plaidoyer personnel où il s’arrêta devant l’impossibilité de se justifier sans accuser autrui. Je garde une page qui racontait la bataille de Sedan, page émouvante à voir, hachée de ratures de sa main, dont chacune représente un effort pour couvrir un serviteur malheureux. Il y en eut tant, de ces généreuses ratures, qu’à la fin le récit a presque disparu. Mérimée, du moins, a eu ce bonheur, dans ses communes études avec l’empereur, de ne rencontrer d’autres noms de bataille que ceux de Thapsus et de Munda.

Au début de ce travail, l’empereur, qui savait le prix du temps pour un tel écrivain, lui donna à entendre qu’il serait largement

  1. Les notes de Mérimée, relatives à l’histoire de César, sont entre les mains de M. le baron Stoffel, qui, j’en suis convaincu, ne me démentira pas.