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mière explosion, l’impératrice dit à ceux qui accourent vers elle : « Ne vous occupez pas de nous : c’est notre métier. Occupez-vous des blessés. » Mérimée répète ce mot sans commentaire. S’il l’admire, c’est malgré lui.

Dans un pays démocratique, la cour ne saurait être que le premier des salons. Le difficile est d’empêcher que ce salon ressemble au reading-room d’un grand hôtel cosmopolite. L’impératrice n’avait pas trop de toute sa grâce, de toute son intelligence, de tous ses amis pour l’aider à remplir ses devoirs de maîtresse de maison et de leader de la société. Mérimée s’y employa très complaisamment. Il se fit, à Fontainebleau et à Compiègne, directeur, auteur et acteur, comme il l’avait été à Carabanchel. Certaines personnes l’en estiment moins ; d’autres ont la maladresse de l’en justifier.

Ce que j’admettrai, c’est que ces impromptus, ces canevas de charades, si j’en juge par l’aperçu qu’il en donne à la comtesse de Montijo, n’étaient pas des meilleurs. Mais il n’est pas démontré qu’il eût employé à écrire des chehs-d’œuvre le temps ainsi dépensé. Tout n’était pas pur dévoûment dans ces besognes mondaines, où il avait pour compagnons des hommes d’esprit qu’il aimait beaucoup et depuis longtemps, tels que Saulcy et Viollet-le-Duc. Elles étaient accompagnées de ces mille petits bonheurs auxquels il était le plus sensible et que donne la présence des femmes élégantes. Par là, il retrouvait l’illusion d’une seconde jeunesse, les beaux jours évanouis du secrétaire de M. d’Argout. Vieux et souffrant, altéré de repos et de solitude, les chaînes dorées se brisèrent d’elles-mêmes sans qu’il eût à les secouer.

En attendant, mille prévenances le payaient de sa peine, si c’en était une. Il était l’hôte des jours de gala ; il était aussi le commensal des intimités. Il arrivait qu’au sortir de quelque réception officielle, à travers une fenêtre entr’ouverte ou une porte entrebâillée, il s’entendait appeler par une voix familière, et il se trouvait tout à coup transporté dans les coulisses de ce pompeux théâtre de la politique où, comme dans les coulisses des autres théâtres, les visages reprennent leur air naturel. Lorsque, pendant la guerre d’Italie, ce joli groupe des dames d’honneur, peint par Winterhalter, était réuni à Saint-Cloud autour de la régente, Mérimée aidait ces doigts fins et chargés de bagues à déchirer la charpie pour les blessés, entre deux télégrammes de victoire. Dîner aux Tuileries n’était pas une faveur bien rare ; y déjeuner en tête à tête avec le souverain et la souveraine n’était accordé qu’à très peu, et Mérimée était l’un des plus favorisés parmi ce petit nombre. Il était partout le bienvenu, qu’il apportât à Madrid