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savans germains[1], et d’où il émerge de temps à autre, comme Dandin passant la tête par le soupirail de la cave.

Les Études d’histoire romaine, dans la pensée de l’auteur, formaient une trilogie, et la troisième partie, qui manque, devait être une vie de César. Il avait pour ce personnage une prédilection singulière. C’est avec une partialité visible que, dans la Conjuration de Catilina, il commente jusqu’à le rendre probable et probant, le discours baroque et contradictoire que lui a prêté Salluste. Il écrivait à Requien, le 25 octobre 1838 : « Avez-vous entendu parler d’un certain Jules César, lequel fut fait mourir en l’an de grâce 44 ? J’écris la vie de ce drôle-là, qui, comme feu M. Robespierre, n’est pas encore jugé. » Après l’avoir comparé à Robespierre, il le comparait à Barbès. Il disait à un de ses amis dans une lettre datée du 18 juillet 1841, et citée par M. de Loménie : « Le César des premières années ressemble fort au conspirateur que je vis l’autre jour au Mont-Saint-Michel. César évita le Mont-Saint-Michel parce qu’il avait beaucoup d’entregent, mais c’était une franche canaille à cette époque. Ce diable d’homme alla toujours en se perfectionnant. Il fût devenu honnête homme si on l’eût laissé vivre. »

César n’est-il, pour Mérimée, qu’un Barbès qui a réussi et qui s’est amendé ? Non. Ce qui l’attirait d’abord vers César, c’est le côté artistique et donjuanesque de ce caractère. Mérimée savait un gré infini à l’arrière-petit-fils de Vénus d’emporter toujours, en voyage, une ravissante petite image de sa grand’mère pour les dévotions de la route. César paraît avoir aimé, comme lui, les camées, les bijoux, les diamans, les chefs-d’œuvre microscopiques où l’art se ramasse et se concentre. Il aima aussi les femmes, et de la bonne manière, au jugement de Mérimée. Il faut voir comme il se fâche contre l’historien anglais Merivale qui, croyant relever César, avait voulu mêler quelque dessein politique à l’intrigue du conquérant des Gaules avec la reine d’Egypte. Mérimée n’entend pas qu’on lui gâte cette jolie et friande scène du tapis d’où la reine sortit, comme une danseuse de féerie, le soir où elle vint surprendre César chez lui et le prit d’assaut. Shakspeare aurait pu, au besoin, mettre son compatriote en garde contre cette idée de clergyman, lui qui, à ses heures, sait l’histoire mieux que les historiens. Non, il n’y a point de politique là-dedans. C’est une « bêtise, » un coup de folie, et Mérimée adore César parce

  1. En voici un échantillon. Cicéron s’écrie en plein sénat : « Je vois ma femme, ma fille, mon gendre, saisis d’inquiétude, etc. » Et le commentateur teuton de s’écrier : • Comment Térentia et Tullia auraient-elles été présentes dans la Curie ? Évidemment ce passage n’est pas authentique. » Mérimée se demandait si de telles gens sont capables d’entendre Cicéron.