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ou une conférence des grandes puissances européennes. S’il était permis aux ministres anglais, comme à ceux du continent, de parler indifféremment dans les deux chambres, c’eût été à lord Rosebery, en sa qualité de chef du foreign office et surtout de maître à peu près absolu de la politique étrangère du cabinet, qu’il eût appartenu de répondre à l’interpellation. À son défaut, M. Gladstone s’en est chargé, et a réédité le discours auquel l’Angleterre, sur ce sujet, a habitué l’Europe, et que je résumerais, si je l’osais, en cette phrase vulgaire du débiteur récalcitrant à son créancier qui l’obsède : « Je vous paierai, soyez tranquille, d’ailleurs je vous devrais plutôt pendant toute ma vie que de nier une seule fois ma dette. » Ainsi l’Angleterre promet d’évacuer l’Égypte, mais sans nous dire le moment, et elle aimerait mieux y rester toujours que de nier une seule fois la parole qu’elle a donnée d’en sortir.

Situation délicate, non insoluble heureusement, — « nous n’avons rien fait, a dit M. Gladstone, pour décourager l’échange de communications amicales. » — Un ministère français, doué d’habileté et de résolution, pourrait trouver un arrangement qui satisfît les deux parties, s’il était appuyé par une majorité solide et sachant ce qu’elle veut. Il faut bien le reconnaître, nous ne montrons pas toujours beaucoup d’esprit de suite dans les détails de notre politique étrangère et coloniale. Cette Égypte, où nos intérêts sont si grands, nous avons laissé l’Angleterre y aller seule faire la police, à l’heure où nous aurions pu nous y rendre de concert ; nous sommes jaloux à juste titre de l’influence française dans les deux mondes, nous sommes glorieux des territoires nouveaux où flottent nos couleurs ; mais l’influence s’achète, les conquêtes se paient, et nous n’aimons pas mettre la main à la poche.

Nous redoutons aussi les complications lointaines et, toutes les fois que la plus légère surgit, c’est pour nous une contrariété excessive, comme on l’a vu cette semaine pour notre différend de frontières avec le royaume de Siam. Nous étions prêts à imputer le fait à la basse jalousie de nos voisins d’outre-Manche ou à l’incurie de notre propre gouvernement. Déjà l’on annonçait que les Siamois avaient commandé des fusils à l’Autriche, des navires à l’Angleterre, lorsqu’il a suffi, pour rétablir nos droits sur le Bas-Mékong, de l’envoi d’une canonnière et d’une compagnie de tirailleurs annamites.

Qu’il y ait dans ces contrées éloignées des rivalités nationales entre les Européens, la chose va de soi et il faut s’y attendre ; tandis que le général Dodds nous revient triomphant du Dahomey, ne continue-t-on pas à se disputer le centre de l’Afrique, et se passe-t-il un mois sans amener de ce côté-là quelque incident, témoin, à l’heure actuelle, les litiges anglo-belge, au sujet des postes du Haut-Nil, et belge-français,