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d’années, l’effectif du pied de paix de l’armée française dépasse sensiblement celui de l’armée allemande ; M. de Bennigsen est trop au courant des statistiques militaires pour l’ignorer. La disproportion entre les deux chiffres n’a peut-être pas l’importance qu’on pourrait lui attribuer tout d’abord, parce que l’Allemagne dispose, en landwehr de première ligne, de formations rapides qui ne sont pas exactement connues. Le fait de la supériorité numérique de l’armée française ne nous a pas cependant, l’Europe impartiale doit en convenir, rendus plus arrogans ni plus belliqueux.

La conscience de nos forces, unie à cet immense désir de la paix qui est chez nous le fond de l’opinion publique, nous fera assister impassibles aux événemens qui vont se dérouler de l’autre côté du Rhin. Le spectre de la France sera souvent évoqué, nous devons nous y attendre, durant la période électorale ouverte en Allemagne, par les candidats qui croiront en avoir besoin. Il a déjà passablement servi aux dernières séances de Berlin, où l’on a rappelé le siège de Dantzig, la campagne d’Eylau sous Napoléon, et, comme d’habitude, l’incendie du Palatinat sous Louis XIV. Déjà l’empereur allemand, par le discours qu’il a adressé à ses généraux après la parade de Tempelhof, est en quelque sorte entré personnellement dans la lutte, pour exhaler son mécontentement contre la majorité du Reichstag qu’il accuse de « sentimens peu patriotiques, » et pour affirmer qu’il était « en communauté de sentimens avec les princes confédérés, avec le peuple, avec l’armée. » Pour l’armée, on ne connaîtra pas son avis, puisqu’elle n’a pas la parole, et il est possible que Guillaume II ait raison ; pour les princes confédérés, la chose est beaucoup moins certaine, nous croyons savoir que ce n’est pas sans résistance que les cours de Bavière et même de Saxe ont adhéré au projet ; quant au peuple, dans un mois, il se sera prononcé.

Mais dût-on chercher à surexciter, dans un intérêt gouvernemental, le patriotisme des populations allemandes, allât-on même jusqu’à faire surgir, au moment opportun, quelque incident de frontières, notre premier devoir est de conserver, en face de cette mêlée des partis chez nos voisins, le sang-froid dont nous avons déjà fait preuve, en 1887, dans une circonstance analogue.

C’est avec la même placidité que nous devons envisager les débats du parlement britannique sur cette question brûlante de l’Egypte, revenue la semaine dernière devant la chambre des communes, grâce à une interpellation de sir Charles Dilke. L’ancien sous-secrétaire d’État au foreign office, qui faisait par-là une sorte de rentrée dans la vie politique, a rappelé l’obligation d’honneur pour l’Angleterre de ne pas manquer à une parole solennellement donnée, en son nom, par les hommes d’État des deux grands partis. Il a indiqué deux voies pour sortir de la situation actuelle : des négociations avec la Sublime-Porte,