sa raison. Mais alors il fallait la délivrer, lui rendre cette Castille, dont elle était légitime maîtresse, se contenter de l’Aragon, triste royaume, rompre l’unité de l’Espagne, consommée il est vrai par la fraude et la violence, mais consommée enfin. C’était quitter le long espoir et les vastes pensers, c’était s’éveiller des beaux rêves de César et de Charlemagne. Le sacrifice fut au-dessus des forces du jeune Charles-Quint, mais non pas le crime ; et par la volonté de son fils, comme auparavant par celle de son père, la reine Juana demeura prisonnière.
Un instant pourtant, en 1520, la révolte des communeros la délivra. Liberté éphémère ! L’insurrection fut réprimée, don Juan de Padilla son chef, puni de mort, et Jeanne, après avoir failli redevenir reine, ne redevint que l’hôtesse plus malheureuse d’une plus rigoureuse prison. C’est alors, mais alors seulement, que sa raison s’égara. L’horreur redoublée de sa captivité, les mauvais traitemens, les supplices même qu’on n’épargna pas afin de lui arracher une abdication opiniâtrement refusée, la réduisirent à la folie, à la plus dégradante misère de l’esprit et du corps. Enfin elle mourut après une effroyable agonie, dont les cris s’entendirent au loin, âgée de soixante-seize ans, et depuis quarante-neuf ans recluse. Quelques mois plus tard, Charles-Quint se retirait à San-Yuste, troublé peut-être par les remords, et déposait la couronne payée d’un si long parricide.
Et dire qu’après cet indispensable résumé d’histoire, les cinq actes du drame restent encore à raconter !
Premier acte : La nuit, dans un cloître où sonne le glas, où devisent des moines, où passe et repasse, farouche, le grand inquisiteur, où doivent tout à l’heure se rencontrer la reine Juana, veuve depuis quelques mois, et son père. Sachez que le monarque n’a donné ce rendez-vous à sa fille que pour lui arracher une renonciation à la couronne de Castille, et si elle refuse, la faire arrêter et jeter en prison. La reine arrive la première, tout de noir vêtue ; au bas de la colline elle a laissé son lugubre cortège et le cadavre adoré qu’elle conduit à Grenade. Son père tardant à venir, elle va l’attendre dans la chapelle. À son tour paraît le vieux roi. Avec l’inquisiteur qui fut son confident, et certain Mosen Ferrer qui fut son complice, il s’entretient du passé et de l’avenir : de son gendre qu’il a fait empoisonner, de sa fille qu’il donne pour folle et qu’il compte séquestrer ce soir même. Mais pourquoi n’est-elle pas ici ? On l’appelle, on la cherche ; elle a fui. Alors de nouveau nous entendons le glas, puis le chant lointain et se rapprochant peu à peu du Miserere ; voici les pénitens, les pleureuses, le cercueil, et la reine. Ferdinand l’embrasse d’abord ; puis avec une feinte douceur il la prie, la conjure de lui céder le sceptre castillan. Elle refuse ; elle a juré de vivre et de mourir reine. Mais elle a juré aussi de