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supérieur ne coûtèrent pas moins de peines au ministre. Sa sollicitude s’appliqua surtout aux objets qui avaient occupé toute sa vie, aux fabriques, aux métiers mécaniques, aux améliorations agricoles. Il put se vanter d’avoir donné à l’industrie française un essor qu’elle n’avait pas connu depuis Colbert. Je ne sais s’il faut lui attribuer le mérite des embellissemens de Paris. Chaptal nous présente comme siens les projets adoptés par le premier consul, entre autres la transformation du faubourg Saint-Germain, alors fort mal percé. Il ouvrit plusieurs des voies de communication qui le desservent actuellement ; il allait prolonger de même la rue de Poitiers, quand l’outil lui tomba des mains. On va voir pourquoi nous sommes obligés, aujourd’hui encore, de tourner à droite ou à gauche lorsque ce tronçon nous amène à la rue de l’Université.

Le puissant ministre avait une faiblesse avouée pour une de ses administrées de la Comédie-Française, Mlle Bourgoin. Un soir de thermidor an XII, deux mois après la proclamation de l’empire, il travaillait avec Napoléon. Le valet de chambre Constant entra : il annonça à son maître que Mlle Bourgoin s’était rendue aux ordres de sa majesté. L’Empereur fit dire à la visiteuse d’attendre, avec le sans-gêne expéditif qu’il apportait à ces sortes de choses. Un bon courtisan n’eût pas entendu ; mais il y a des réactions auxquelles la chimie ne prépare point. Notre savant ne sut pas contenir son ressentiment, et il l’en faut admirer. L’infortuné referma son portefeuille, sortit brusquement, rentra chez lui, et rédigea dans la même nuit sa lettre de démission. Il prétextait le désir de retourner à ses chères études. La démission fut aussitôt acceptée. Le ministre retomba sur un fauteuil de sénateur, d’où il ne bougea plus jusqu’à la fin du règne. Retiré dans la terre de Chanteloup, qui avait abrité la fastueuse disgrâce de Choiseul, il y occupa ses loisirs à des perfectionnemens agricoles, à des travaux scientifiques dont notre industrie retira de grands profits.

Devons-nous croire qu’une si brillante carrière fut brisée par un malheur si léger ? Il y eut certainement à la séparation des motifs plus graves. Chaptal revient souvent dans ses notes sur la différence marquée entre le premier consul, docile aux avis de collaborateurs qui étaient un peu ses maîtres d’école, et l’Empereur, impatient de toute contradiction. Le montagnard de la Lozère ne sut-il pas plier à temps devant ces exigences nouvelles ? Y eut-il quelque dissentiment resté secret ? Chaptal fournit une explication qui ne soutient pas l’examen : la nécessité de placer Champagny au ministère de l’intérieur pour ne pas déplaire à l’empereur d’Autriche, quand Napoléon rappela de Vienne son ambassadeur. Fût-elle exacte, cette allégation n’expliquerait point la durée d’une non-activité que n’assombrit pas d’ailleurs la défaveur du maître.