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raisons d’être satisfaits ; les publications sur la période napoléonienne ne sont plus ce qu’elles furent si longtemps, des armes de combat forgées et faussées par les passions du jour. Certes, il est facile de discerner chez nos écrivains leurs antipathies ou leurs goûts personnels, et la fascination du modèle sur plusieurs d’entre eux. Du moins n’ont-ils plus, lorsqu’ils le regardent, un œil qui louche vers le gouvernement du quart d’heure. Ils cherchent de bonne foi la probabilité historique ; je n’ose dire la vérité : le mot est trop ambitieux, trop décevant, quand on l’applique aux résultats de nos investigations sur le passé.

Elle est fort bien composée, la haute cour où l’on révise, comme faisaient les peuples d’Egypte, le procès du Pharaon défunt. Nous y voyons siéger à cette heure M. Vandal, avec ce livre hors de pair, Napoléon et Alexandre ; M. Henry Houssaye, avec son récit entraînant du « vol de l’aigle » en 1815 ; M. Welschinger, le juge instructeur au criminel. M. Arthur Lévy apporte un dossier amusant, bourré de faits, à la décharge du Napoléon intime ; M. Frédéric Masson, lui aussi, fouille dans le privé du grand homme, il sait que notre curiosité ne se lassera jamais de ces menus détails. Dans les cas difficiles, M. Sorel résume les débats avec une autorité devant laquelle nous nous inclinons tous. Je ne nomme ici que les derniers opinans ; et parmi les témoins qui défilent, avec leurs dépositions neuves ou renouvelées, je ne citerai que les derniers appelés ; des soldats, Marbot, Davout, Macdonald, Parquin, Boulart, Vigo-Roussillon ; des émigrés et des adversaires, Rochechouart, Vitrolles, Hyde de Neuville, d’Antraigues ; des serviteurs politiques, Talleyrand, précédant Pasquier annoncé pour demain, Chaptal enfin, qui a aujourd’hui la parole. Son témoignage était attendu comme l’un des plus considérables ; il mérite que nous nous y arrêtions quelques instans.


I

Taine en avait déjà extrait la moelle ; il connut ce livre en manuscrit et s’en servit beaucoup pour son portrait de Napoléon. Il écrivait au-dessous d’une citation des Souvenirs, alors inédits : — « Quand ces notes seront publiées, on y trouvera nombre de détails à l’appui des jugemens portés dans ce chapitre et dans le suivant ; la psychologie de Napoléon, telle qu’on la représente ici, en tire un surcroît de confirmation. » — À lire la biographie et les écrits de Chaptal, on s’explique le crédit qu’un pareil esprit devait trouver auprès de Taine ; il avait le genre d’éducation et les qualités d’intelligence que l’historien philosophe prisait le plus. Un savant chimiste, formé par l’étude des sciences expérimentales,