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gouvernans, car, soit dit sans irrévérence, le problème à résoudre aurait sauté aux yeux de La Palice lui-même. Aussi a-t-on fait, pour créer un courant d’émigration, de très grands efforts auxquels il convient d’accorder, comme à tous les insuccès honorables, le juste tribut de louanges mérité par le courage malheureux. Je me permets d’ajouter qu’il faudrait être armé d’un optimisme particulièrement rebelle à l’évidence des faits, pour prédire un sort meilleur aux tentatives futures, si elles sont faites sur les mêmes bases.

On a eu pourtant quelques bonnes idées : comme celle d’offrir, — souvenir classique de l’histoire romaine, — des concessions de terre à des soldats libérés du service militaire dans la colonie. La proposition a soulevé si peu d’enthousiasme, qu’à l’heure actuelle il ne reste pas plus de trois ou quatre colons de cette origine, dont un seul a réussi.

Riches et pauvres, légionnaires et civils, n’ont cessé de se montrer récalcitrans ; soit que la distance les effraie, soit qu’ils redoutent le voisinage du bagne.

Le dernier essai de colonisation par l’élément libre n’est vieux que de deux ans : il me paraît topique.

Le ministère avait passé avec une société d’émigration un contrat aux termes duquel douze familles d’agriculteurs, avant-garde de toute une population, devaient être envoyées en Nouvelle-Calédonie aux frais de ladite société. Quant à l’État, le bon État, il s’était chargé de bâtir de jolies maisonnettes avec jardins et dépendances, de fournir six mois de vivres, de garnir les étables et les basses-cours : pour un peu, les émigrans eussent trouvé leur potage servi et leurs lits faits.

Au jour annoncé, les douze familles débarquèrent du paquebot Yarra ; on les installa solennellement. Les autorités se transportèrent à l’entrée du coquet village, tout flambant neuf, pour y recevoir les « pionniers de la civilisation. » Le gouverneur officia lui-même et prononça un beau discours en manière de bénédiction laïque : puis les douze familles prirent possession de leurs douze maisons. On se retira avec la satisfaction de gens qui viennent, entre deux repas, de fonder une ville. Ce ne fut, hélas ! que le rêve d’une nuit ! Le lendemain, la petite république comptait déjà deux partis : au bout d’un mois, le chef de l’expédition, M. G.., avait perdu toute autorité ; au bout de six mois, il était obligé de quitter le village auquel, modestement, il avait donné son nom ; et maintenant il enseigne le français à des petits Canaques, et se console de ses malheurs en jouant du cornet à piston, instrument sur lequel il est d’une jolie force d’amateur.

Peu à peu, malgré les encouragemens prodigués par