Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/426

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le mieux qu’on puisse espérer d’elle, c’est qu’à cette union elle assiste sans déplaisir.

Il est probable que, l’empereur une fois rentré en Allemagne, le pape continuera avec prudence, mais avec décision, la politique qu’il a inaugurée. Et cela est probable, entre autres raisons, parce qu’il s’est si loyalement, si franchement engagé que l’on ne comprendrait pas un brusque changement de direction. L’Église catholique évolue, pour ce qui touche aux affaires du siècle, mais sagement, lentement, et il y a de la suite jusque dans ses évolutions. Une raison meilleure encore pour que le pape persévère dans sa politique, c’est qu’elle est la plus chrétienne que le saint-siège puisse adopter.

S’il a refusé ou non d’intervenir auprès du centre allemand, en faveur des crédits demandés, c’est une question secondaire. Il est probable, néanmoins, qu’il aura décliné l’invitation de l’empereur. L’expérience de 1887 n’était pas très encourageante, et si l’on voit tout ce qu’il pourrait perdre à intervenir, on ne voit pas ce qu’il y pourrait gagner. Prussiens et Bavarois, M. de Huene et M. Lieber[1] sont catholiques au même titre : il ne saurait, dans le cas présent, plaire aux uns sans froisser les autres. Loin d’empêcher la scission du centre, qui lui serait fort préjudiciable, il l’accentuerait et l’envenimerait. C’est un acte de conséquence qui exige réflexion, et le temps manque pour les négociations.

Qu’on crée ou qu’on ne crée pas une nonciature à Berlin, c’est également une question secondaire : la créer n’implique pas un changement de politique. La Prusse a une légation à Rome, le pape a un nonce à Munich et l’Empire compte, — M. de Bismarck le rappelait, — 14 millions de catholiques, aujourd’hui plus de 18 millions. Quant à la retraite, annoncée certainement trop tôt, au congé temporaire du cardinal secrétaire d’État, ce serait un événement fâcheux, si ce congé devait se prolonger, fâcheux surtout pour Léon XIII qu’il priverait de son plus intelligent et de son plus dévoué serviteur[2].

Ainsi, sous quelque aspect qu’on l’envisage, la situation reste ce qu’elle était. Le court séjour de l’empereur à Lucerne n’introduit aucun élément nouveau. À l’horizon, une tête d’orage, un point noir : la misère. Il ne faut pas se laisser prendre à cette joie factice d’un jour : l’Italie qui s’amuse n’est qu’une façade, un décor de théâtre. N’appuyez pas, ne crevez pas la toile. Tout le Midi est dans les larmes. La sécheresse lui a déjà enlevé un demi milliard ;

  1. Tout eût été à perdre, puisque huit ou dix catholiques seulement ont suivi M. de Huene, que le projet du gouvernement et le compromis ont été successivement repoussés et que le Reichstag a été dissous.
  2. Ces deux nouvelles, non plus, ne sont pas confirmées.