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que prêcher l’amour, le respect, la justice et la charité : je n’ai fait que prêcher la paix. Je n’ai pas exalté les formes démocratiques au détriment des monarchies. J’ai dit que le devoir était d’obéir aux gouvernemens établis ; à la république, si c’est elle ; au roi, s’il y a un roi. Je n’ai pas dit aux sujets d’un prince : renversez le prince et proclamez la république. J’ai dit aux Français : Vous êtes frères : aidez-vous, aimez-vous en frères.

« Vous venez me demander des armes, à moi qui ne dois pas savoir ce que c’est que des armes. Voyez ; je n’ai que la croix du Christ et le bâton du pasteur. Sire, j’ai peur aussi de votre majesté. J’ai peur des apprêts belliqueux auxquels vous ne vous lassez pas de travailler, des soldats, des canons, de toutes ces matières inflammables que vous, et les autres princes, accumulez et d’où se propagera l’effroyable incendie qui mettra, sur la terre, l’humanité en deuil et affligera, dans les cieux, le père commun des hommes. Vous venez me demander des ordres pour que les catholiques secondent vos desseins ; je ne puis, comme chef des catholiques, que vous adresser ma prière et, comme vicaire du Dieu de paix, que vous faire entendre un avertissement. Je mets dans votre main cette main qui bénit le monde : prenez-y la paix, sire, et répandez-la. »

Mais la porte du salon était close, le garde-noble veillait au seuil, et ce n’est, répétons-le, qu’une hypothèse que nous ajoutons à toutes celles que l’on a faites. Pourquoi serait-elle la moins vraisemblable ? L’empereur était très ému quand il a pris congé du pape, et le pape était souriant. Dans ce cabinet, où, face à face, étaient seules « les deux moitiés de Dieu, » s’étaient-elles livré un duel sans témoins ? Alors, la crosse avait vaincu l’épée, et le crucifix, — soutenu à propos par une fine dague florentine, — la longue et forte rapière germanique.


V

C’est, en réalité, sur cette visite de Guillaume II à Léon XIII que se sont terminées les fêtes des noces d’argent. On a pu ensuite promener l’empereur, lui faire voir dans un tournoi l’histoire incarnée et vivante de la maison de Savoie, d’Humbert Blanche-Main à Victor-Amédée, lui montrer des troupes choisies, le mener à Naples, dans le carillon clair des grelots et le galop effréné des attelages qui descendent la rue de Tolède ; on a pu faire, pour lui, danser la tarentelle et chanter le Funiculi ou Santa-Lucia, lui faire sillonner en tous sens le plus beau golfe que les mers aient creusé, et stopper pour qu’il prenne un croquis de cette Capri, vers laquelle ces mêmes