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drapeaux qu’elle a distribués aux habitans, au prorata des portes et des fenêtres. Et, de même que, pour la revue, on a mobilisé une douzaine de mille hommes, que l’on a exercés pendant près d’un mois, tirant le canon pour y habituer les chevaux, de même, pour la réception de l’empereur, on a mobilisé fonctionnaires, sociétés, conseils municipaux, écoles et asiles. Après quelques répétitions, rendues aisées par un sens artistique réel, l’interprétation devait être excellente, et Guillaume II pouvait paraître.

Il a paru. À l’heure dite, chose faite pour surprendre les voyageurs à 70 pour 100 de rabais qui avaient subi, en moyenne, une demi-journée de retard et qu’on avait débarqués sans façon à la station du Transtévère, — qu’ils s’en tirent comme ils pourront, — le convoi impérial est entré en gare. Dès le matin, la via Nazionale, la place des Thermes, la via Venti-Settembre, étaient noires de monde, grouillantes et bruyantes. Ce n’étaient que régimens allant prendre leur poste ; infanterie, cavalerie, artillerie. Il est impossible que le comique soit absent des affaires humaines. Un de ces régimens défilait aux accens d’un air, populaire dans les Romagnes, vers 1848, et dont on nous saura gré de reproduire deux ou trois couplets qui se traduisent d’eux-mêmes :


Colla pancia dei Tedeschi
Dei tamburri vogliam far,

Colle gambe dei Tedeschi
Dei cavicchi vogliam far.

Fuoco contro fuoco !
S’ha da vincere o morir, etc.[1].


Sur le quai, le roi, la reine, les membres de la famille royale, les ministres, les délégations des grands corps de l’État guettaient. L’accès des salles avait été rigoureusement interdit. Seuls, les journalistes avaient pu pénétrer, en montrant cravate blanche, et entre deux rangs de gendarmes. Tout de suite, on a fait les présentations. Et, par l’itinéraire convenu, on s’est rendu au Quirinal. Un quart d’heure après, à Monte-Cavallo, au pied des chevaux de Phidias et de Praxitèle, éclatait la première ovation, la plus faible. Les autres sont allées crescendo. Pour la première fois, l’empereur a salué, du balcon. L’étincelle a jailli. Les têtes se sont montées, les mouchoirs se sont agités : on a chanté, on a crié tout ce qui se peut chanter ou crier, et il n’y a plus eu qu’une majesté dans la Rome royale : la majesté de l’hôte auguste du roi, de l’empereur allemand. Les noces d’argent ont été reléguées à l’arrière-plan. D’autres princes,

  1. Osservatore romano.