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peut-être impressionner par les raisonnemens que le pape ne manquerait pas de lui tenir entre quatre yeux[1] ? » C’est possible. Mais, en tout cas, il y fallait plus de façons, et de meilleures. Guillaume II lui-même en fut choqué, et il paraît qu’il ne cacha pas son mécontentement. « Il est toujours déplorable, aurait-il dit à l’un de ses confidens, de mettre un homme grossier et brutal en contact avec un personnage d’esprit fin et délicat[2]. »

Ce qui est certain, c’est que, le lendemain, le comte Herbert de Bismarck dut retourner au Vatican pour y présenter des excuses, lesquelles, on le vit à l’air qu’il avait au sortir de l’audience, furent assez froidement accueillies. Ce qui est plus certain encore, c’est que la visite interrompue de Guillaume II laissa chez le pape et dans son entourage un souvenir si mauvais que rien n’a pu l’effacer. L’empereur, nerveux à l’extrême, ne fit que traverser les musées et la basilique ; puis il rentra tout droit au Quirinal, brûlant l’inutile étape du palais Capranica, où il était convenu qu’il quitterait ses équipages de gala.

Il ne manquait plus que de boire « à la capitale intangible ; » ce qui fut fait. En faveur de ce brindisi, de ce coup des adieux, on pardonna beaucoup à Guillaume II, dans la famille du roi Humbert. Mais, quelque indulgence qu’on y mît, il restait encore à lui pardonner. N’avait-il pas piqué des deux, à la revue, et pris le pas, de cinq ou six longueurs de cheval, sur le maître de la maison ? Le cheval était peut-être trop jeune, mais l’étiquette veut que, pour ces représentations souveraines, on ne mène avec soi que des bêtes bien dressées. N’avait-il pas, en outre, exprimé, sur le défilé, une opinion peu flatteuse : « Votre flotte, bon ; mais votre armée, n’en parlons pas ? » La foule, qui ne l’avait vu que de loin, une foule méridionale, vive, expansive, prompte à manifester, avait trouvé bien fier, bien roide, d’une tout autre race, ce blond héros des Niebelungen, impassible sous son haut cimier. Le Romain, bon enfant, sentait le mur entre cet empereur et lui, et même entre cet empereur et son roi.

Vêtu de ses plus beaux atours, heureux de chômer une semaine et de fêter, d’allumer des feux de joie, d’écouter des musiques, orgueilleux aussi de ce que « ce grand puissant de la terre, » comme disait Minghetti, sans peur du pléonasme, se fût dérangé pour lui ; suivant la théâtrale procession du syndic et des assesseurs, promenés en style Louis XIV, avec des laquais à perruques, grisé du spectacle, grisé de soleil, de mouvement, de bruit, grisé

  1. Voyez la Voce della verità du mardi 25 avril 1893.
  2. La Voce della verita cite le texte allemand de la phrase attribuée à Guillaume II : Einen groben und brutalen Mann mit einer fein und zartfühlenden Persönlichkeit in Berührung zu bringen.