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singulièrement réduit. L’analyse des eaux de drainage d’hiver montre très bien qu’il n’en est pas ainsi ; les nitrates d’automne ont été saisis par les jeunes plantes. Ils sont transformés en matières azotées, leur azote est pendant tout l’hiver soustrait à toutes les causes de déperdition.

À la fin d’octobre, au commencement de novembre, les récoltes dérobées sont enfouies ; quand la culture a réussi, les plantes enterrées pèsent de 15,000 à 18,000 kilos ; elles renferment de 60 à 80 kilos d’azote correspondant à 12,000 ou 16,000 kilos de fumier de ferme, c’est une petite fumure.

Les plantes enfouies ne se décomposent qu’au printemps suivant, où l’azote qu’elles renferment reparaît à l’état de nitrates. La décomposition des végétaux enterrés est lente ; en effet, avant que leurs tissus aient été la proie des insectes, des champignons, des bactéries, un temps assez prolongé s’écoule, et il arrive même qu’on ne retrouve pas pendant l’année suivante, à l’état de nitrate, tout l’azote que la culture dérobée a maintenu dans le sol ; on l’a enrichi en cet humus dont nous avons reconnu la stabilité.

Quoiqu’il en soit, la terre a conservé un élément de richesse qui est habituellement perdu ; quand, ainsi que le recommandaient déjà les agronomes latins, ce sont des légumineuses qu’on sème à l’automne, à l’azote des nitrates vient s’associer l’azote de l’air fixé par les bactéries des nodosités, et l’opération devient ainsi plus profitable ; il est vraisemblable que ce mode de culture, encore cantonné dans quelques-uns de nos départemens, s’étendra à mesure qu’on en connaîtra mieux les avantages.

Quand, dans un laboratoire, on soumet une terre qui dégage de notables quantités d’acide carbonique, dues à la respiration des êtres qui y pullulent, à une température de 120 degrés pendant plusieurs heures, tout dégagement d’acide carbonique cesse ; on dit que cette terre est stérilisée, et l’expression dépasse la portée qu’on lui donne habituellement ; cette terre est bien, en effet, devenue stérile : toutes les réactions qui assuraient sa fécondité ont disparu, son activité est éteinte, elle est devenue incapable de fixer l’azote atmosphérique, de transformer son humus en ammoniaque, son ammoniaque en acide azotique : ses fermens sont tués. Ce n’est plus qu’une masse inerte dans laquelle la végétation devient aussi languissante que dans du sable calciné ; cet arrêt dans toutes les fonctions qui déterminent sa fertilité, aussitôt qu’elle est soumise à l’action du feu, justifie pleinement la belle expression de M. Berthelot : « La terre est quelque chose de vivant. »


P.-P. DEHERAIN.