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à nos dépens, il n’en est pas moins vrai qu’ils ont tout engagé, dans ce long duel, jusqu’à leur existence nationale. Jamais les âmes ne furent si constamment tendues vers le même but, et jamais nation n’eut davantage le droit de négliger le reste du monde pour se concentrer dans ce combat mortel. Cependant, tel est l’effet de l’héroïsme qu’il élève les peuples au-dessus d’eux-mêmes. Il leur inspire les grandes vues politiques, et ces heureux reviremens qui ouvrent aux hommes d’État de nouvelles perspectives. C’est au plus fort de la crise, lorsque le blocus continental détruisait son commerce, que l’Angleterre se souvint qu’elle était la reine des mers. Péniblement victorieuse à Waterloo, son trésor était vide : mais elle avait Malte, elle avait le Cap, elle se fortifiait dans les Indes et retrouvait en Australie une autre Amérique.

Tant il est vrai que les œuvres enfantent les œuvres, que les peuples énergiques ne se laissent point enfermer dans un cercle de Popilius et que c’est en pleine action, sous l’aiguillon du danger, qu’un être vivace répare ses pertes, rejette l’écorce des vieilles routines, acquiert de nouveaux organes et reparaît transformé devant l’adversaire stupéfait, qui croyait le tenir immobile sous sa main de fer !


Arrêtons-nous sur cette vue générale. Il resterait à tracer exactement notre tâche dans l’état présent du monde, à montrer que cette tâche n’excède pas nos forces. Mais un grand pas serait fait si, tout d’abord, nous reprenions confiance en nous-mêmes. C’est pourquoi il fallait commencer par un acte de foi raisonné dans la vitalité du pays. Ce credo, je le résume ainsi :

Notre nation est jeune et perfectible, en dépit du préjugé historique qui l’écrase sous le poids des grands souvenirs et sous de prétendues fatalités de sol, de race ou d’origine.

Elle n’a pas même fourni la moitié de sa course, malgré le préjugé diplomatique, qui place la grandeur d’un peuple dans la prépondérance continentale.

L’Europe elle-même n’est pas ce monde vieilli que l’esprit superficiel des Américains aperçoit à moitié route de l’immobilité chinoise. Elle n’est pas nécessairement vouée aux querelles stériles. Mais elle souffre d’un vice de construction ; elle étouffe dans ses frontières et incline visiblement vers la mer.

Dans cette voie, que l’Angleterre seule a parcourue tout entière, la France possède sur la plupart de ses rivaux une avance considérable, mais elle n’en a pas profité. Pour reprendre le cours de sa carrière, elle a deux obstacles à vaincre, l’un qui lui vient