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de potassium, sulfate de magnésie ; sur les autres on ajouta à ces sels du sulfate d’ammoniaque ; les récoltes furent absolument différentes ; l’influence de l’engrais azoté décisive ; les rendemens des parcelles qui l’avaient reçu doubles ou triples de ceux des terres qui en avaient été privées.

M. Boussingault, de son côté, donna à l’expérience qu’il imagina pour combattre la théorie de Liebig une forme piquante qui lui assura une grande popularité. « Si, disait-il dans son cours du Conservatoire des arts et métiers, il faut en croire M. J. de Liebig, si les parties minérales des engrais sont seules utiles, nous sommes, il faut en convenir, nous autres cultivateurs, de bien grands maladroits. Depuis des centaines d’années nous transportons péniblement nos fumiers de la ferme aux champs, nos attelages nous coûtent cher ; faisons mieux : brûlons nos fumiers ; nous aurons ainsi une toute petite quantité de cendres et, pour le transport, une brouette fera l’affaire. »

L’essai fut disposé sur deux parcelles égales d’une terre appauvrie par la culture. On porta sur l’une les cendres obtenues de 500 kilos de fumier et on sema l’avoine ; sur la seconde parcelle, on enterra 500 kilos du même fumier, on ensemença d’une même quantité de graine, puis on attendit la récolte. Dans le champ qui avait reçu le fumier, 1 kilo de graine rendit 14, dans le champ amendé avec les cendres, 1 kilo de graine donna 4.

Liebig, au reste, n’avait pu formuler sa théorie minérale que dans l’ignorance où il était de la teneur en acide phosphorique et en potasse de la majeure partie de nos terres cultivées. S’il avait su, comme nous le savons aujourd’hui, qu’elles ne renferment pas moins d’acide phosphorique et de potasse que d’azote, il aurait reculé. Si, en effet, la grande quantité d’azote combiné contenue dans le sol enlève toute utilité aux engrais azotés, le raisonnement s’applique à l’acide phosphorique et à la potasse ; il faut s’abstenir de les employer, puisque, dans presque toutes les terres, l’analyse décèle leur présence… On arrive ainsi à cette conclusion inadmissible : les engrais sont inutiles.

Si l’expérience condamne l’hypothèse de Liebig, elle ne résout pas ce paradoxe : il est avantageux d’ajouter des engrais azotés à un sol riche en azote… Est-ce donc que cet azote combiné contenu dans le sol est inerte, inutile, sans action sur les végétaux ?

Une très faible fraction de cet azote est engagée, en effet, dans des combinaisons assimilables ; Boussingault en a donné une preuve décisive dans une expérience où, suivant sa spirituelle expression, il a voulu joindre à l’opinion des savans sur la matière azotée du sol a l’opinion des plantes. »