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se heurta à la défiance des Écossais, aux hésitations, à la mauvaise volonté de leur roi, qui « avait plus cher le séjourner que le chevaucher. » Ses alliés le laissèrent combattre seul, demeurant inertes « comme des statues de pierre ébahies ; » il dut battre en retraite, et ayant à grand’peine instruit le roi de sa détresse, il resta quelque temps malgré lui à la cour d’Ecosse, non toutefois sans s’inspirer des traditions galantes de la chevalerie, car le religieux de Saint-Denis affirme qu’il aima une princesse écossaise et fut payé de retour. Au surplus, bon courtisan, grandement apprécié du roi de France, des ducs de Bourgogne et du pape d’Avignon, rude jusqu’à la violence, ami fidèle et tenace ennemi, baron féodal dans toute la force du terme lorsqu’il rentre en Franche-Comté, prenant les armes à ses risques et périls pour les intérêts de ses parens, mêlé de son plein gré aux guerres civiles de la Provence. En 1388, le voici ambassadeur auprès du roi de Castille qui a signé la paix avec l’Angleterre, et il lui parle « par beau langage et orné, » et aussi le plus hardi qu’on puisse entendre ; en 1390, il va, en compagnie de Coucy, de Guy de La Trémouille, et sous la conduite du duc de Bourbon, guerroyer contre les pirates de Tunis. En 1395, une ambassade hongroise étant venue implorer l’appui du roi très chrétien contre le sultan Bajazet, Philippe le Hardi lui promit une armée qui aurait pour chef son fils, le comte de Nevers ; Jean de Vienne, son féal ami, consentit avec joie à guider le jeune prince, et il emmenait avec lui les premiers barons comtois, Henri de Montbéliard, Henri de Montfaucon, les sires de Chastel-Belin et de Ray, Guillaume et Jacques de Vienne. L’armée comptait environ mille chevaliers et autant d’écuyers ; grossie de contingens d’autres nations, elle traversa la Lorraine, la Bavière, rejoignit le roi de Hongrie et entreprit le siège de Nicopolis. Mais l’indiscipline était extrême, les désordres et pilleries scandaleux, et, dans leurs folles espérances, les chrétiens ne parlaient de rien moins que d’entrer bientôt à Constantinople, de conquérir l’Asie-Mineure, Jérusalem ; le roi Sigismond renchérissait encore sur cette jactance : « Si le ciel tombe, s’exclamait-il, nous le soutiendrons du poids de nos lances. » Cependant les Turcs approchant à l’improviste, les chefs français tinrent conseil précipitamment ; Philippe d’Artois et les jeunes chevaliers opinèrent pour la bataille, tandis que Coucy, Jean de Vienne et les sages voulaient qu’on se réservât pour combattre le gros de l’armée ennemie. « Messires, dit Jean de Vienne, là où la vérité et la raison ne peuvent être ouïes, il convient qu’outrecuidance règne, et puisque le comte d’Eu se veut combattre et assembler ses ennemis, il faut que nous le suivions. » L’attaque des chevaliers français tut magnifique ; ils rompirent l’avant-garde, un corps de cavalerie, mais emportés par leur élan, n’écoutant