Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rangées, invente des machines de guerre, périt à son tour devant Ptolémaïs. La prédication de la cinquième croisade par Foulques, curé de Neuilly, arrache le baronnage bourguignon à ses luttes intestines, entraîne la fleur de cette noblesse : Richard, chef de la maison de Montfaucon-Montbéliard[1] et son frère, Richard et Eudes de Dampierre, Eudes de Champagne-Champlitte, Othon de La Roche, Othon de Cicon, « et maintes bonnes gens dont le nom ne sont mie escrit ne embrieré en livres. » Chemin faisant, nos Bourguignons se montrent fort enclins aux entreprises imprévues : tel Renaud de Dampierre qui fausse compagnie à ses camarades pour s’en aller guerroyer en Pouille. À Corfou, nouvelles convoitises, nouveaux projets de débandade ; cependant le marquis de Montferrat et ses fidèles réussirent à retenir leurs amis… « Mais alons à eus et leur chéons au piés, et leur prions par Dieu qu’ils aient pitié d’eus-mêmes tout avant et de nos après, et qu’ils ne honissent mie ni toillent la rescousse de la sainte mer d’outremer… ensi fu otroié et juré, et lors ot grant joie par tout l’ost. » L’entreprise eut pour résultat la conquête de Constantinople, le partage de l’empire (1204). Guillaume de Champlitte devint prince deMorée, Gauthier de Montfaucon épousa la fille du roi de Chypre et fut régent du royaume, Othon de La Roche eut Athènes et Thèbes, Othon de Cicon, qui s’empara de la principauté de Carithène, portait le titre hellénique de Mégaskir ou grand sire, il céda ces possessions lointaines à son neveu Guy de Ray, en échange des biens de Bourgogne ; la maison de La Roche se maintint pendant un siècle et plus à Athènes et Thèbes. Petit à petit, le temps avait fait son œuvre d’apaisement : abbayes et châteaux se sont élevés un peu partout, des mariages politiques ont commencé la fusion des races, la Grèce est devenue une France nouvelle où joutes et tournois, jeux, costumes et langage rappellent, toujours vivante et triomphante, l’image de la mère-patrie, — et personne ne répétait plus le chant mélancolique du chevalier-poète Rambaud : « Nous avons lait des empereurs, des rois et des ducs ; je vois le marquis aussi honoré que le Champenois. Mais à quoi me sert d’avoir ici grandes terres et grand avoir ? Si ma puissance s’est accrue, le chagrin s’est accru aussi, puisque je suis éloigné de ma dame, et je sais que plus ne me viendra joie. » En 1259, la chevalerie de la Morée, trahie par Michel Commène, despote d’Arta, fut presque anéantie dans un combat inégal contre Jean Paléologue : pour obtenir leur liberté, les captifs avaient fini par consentir la cession des trois principales forteresses et la reconnaissance de la suzeraineté de l’empereur

  1. Académie de Besançon (1880), un Parlement de dames au XIIIe siècle, par le marquis Terrier de Lorny.