Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/351

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

répondit-il, qu’il ne manquera rien à ceux qui craignent Dieu ; nous menons une pauvre vie, mais elle nous suffit avec la crainte de Dieu. » Clotaire lui donna les forêts, pâtures et pêcheries qu’il possédait dans le voisinage, et la nouvelle communauté figura parmi les monastères les plus richement dotés. Comme Orphée, les moines d’autrefois avaient le don d’apprivoiser les bêtes sauvages, et, renchérissant encore sur les imaginations populaires, les chroniqueurs ont recouvert les annales authentiques d’une si épaisse couche de miracles et de légendes, que, sous cette rouille poétique, la vérité, déjà écartelée par les contradictions des Italiens, des Allemands, des Français, s’obscurcit étrangement, comme dans certains parchemins le grimoire indigeste d’un lourd commentateur efface le manuscrit original de quelque poète grec, dont les vers harmonieux auraient ravi le lecteur épris de beau et noble langage.

Autant et plus que les rois burgundes et mérovingiens, Pépin le Bref, ses successeurs (741-879), se montrent pleins de sollicitude pour le clergé, prompts à réparer les maux causés à notre province par l’invasion des Sarrasins : le siège de Besançon est occupé par un parent de Charlemagne, une table d’or léguée par celui-ci à la cathédrale, les abbayes de Condat, de Luxeuil restaurées, celle-ci exemptée d’impôts sous Louis le Débonnaire, parvenant au plus haut degré de prospérité avec Anségise et Drogon. Cependant les abus, ces compagnons ordinaires de richesse et puissance, cette quintessence de défauts humains, ont envahi beaucoup de monastères, et leur réforme devient un des grands événemens du IXe siècle. Mainte communauté renferme un mélange des règles de saint Benoît, saint Pacôme, saint Basile, de Cassien et de Lérins, et l’on y rencontre toutes les variétés de la vie ascétique ; d’autres revêtent la physionomie d’un camp de troupes matées par la misère, à peine disciplinées, qui brusquement rompent leur frein ; tels les moines d’Agaune qui blessent un évêque et saccagent l’église. Souvent aussi princes, leudes donnent l’exemple du scandale, et l’on vit la maîtresse d’un roi chasser les religieux de l’abbaye de Lure pour y tenir sa cour. À la mort de Louis le Débonnaire, l’empire ayant été partagé entre ses trois fils, la Séquanie tomba dans le lot de Lothaire Ier, avec l’Italie et les pays situés entre le Rhin, le Rhône, la Saône, la Meuse, l’Escaut ; elle échut ensuite à Lothaire II, contribuant à former un second royaume de Bourgogne ou Lotharingie, royaume indécis, errant, bientôt mis à néant, démembré par Charles le Chauve et Louis le Germanique. Cependant l’usurpation des deux oncles rencontre un vaillant adversaire en Gérard de Roussillon, comte de Provence et de Bourges, duc de Bourgogne, commandant la Savoie, le Lyonnais et le Viennois, qui appartient à la tradition populaire, à