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la critique, la philosophie, l’histoire, et donnaient aux esprits une impulsion dont toutes les sciences ont profité. C’est grâce à ces maîtres illustres, et à ceux qui enseignaient à côté d’eux, que nos vieilles études, s’enrichissant et s’étendant sans cesse, ont fini par faire éclater leurs cadres trop étroits et que, l’ancienne Sorbonne ne suffisant plus à les contenir, il a fallu en construire une nouvelle.

M. Gréard a eu l’heureuse idée de placer, à la fin de son livre, un plan comparatif de l’enceinte des deux Sorbonnes, celle qu’on va démolir et celle qu’on est en train de reconstruire. On y voit qu’elles diffèrent surtout entre elles par l’étendue. Richelieu, quand il la rebâtit, n’ajouta presque rien à l’espace qu’occupaient les maisons de Robert ; la nôtre est trois fois plus grande que celle de Richelieu ; cependant, bien des gens la trouvent déjà trop petite et annoncent qu’il faudra l’agrandir, tant les matières d’enseignement sont devenues plus riches, plus variées, plus abondantes ! C’est en très peu d’années que ce progrès s’est accompli. Quand les facultés des lettres et des sciences ont pris possession de la Sorbonne, en 1821, elles s’y trouvaient presque à l’aise ; au bout de quelque temps, elles n’y pouvaient plus tenir. Il avait fallu remplir les espaces vides de baraquemens en planches pour y loger les élèves et les professeurs. On comprend que la place ait manqué quand on songe que la faculté des lettres, qui avait autrefois sept ou huit chaires, en compte quarante aujourd’hui et que celle des sciences en a quarante-cinq, sans parler des cours libres. Cette richesse sans doute n’est pas sans offrir quelques dangers. On se demande ce que deviendront l’unité et la solidité de l’esprit dans cet éparpillement d’études, si ces études pourront facilement s’accorder entre elles, et comment on empêchera les plus nouvelles, que favorise l’opinion, de se substituer tout à fait aux autres. Ces problèmes inquiétans, c’est affaire à l’avenir de les résoudre. En attendant, qu’il nous soit permis d’éprouver quelque orgueil de voir que tant de sciences négligées jusqu’ici ou mal connues ont fait de tels progrès en soixante-dix ans qu’on peut et qu’on doit les introduire dans l’enseignement public. Cet accroissement de notre domaine intellectuel, dont l’immensité de la nouvelle Sorbonne est une image vivante, me paraît être un des plus grands titres de gloire du siècle qui finit.


GASTON BOISSIER.