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protocoles ? Savez-vous parler tout haut d’équilibre et de justice, et vous réserver secrètement tous les avantages ? Avez-vous étudié, dans le dernier siècle, les guerres de succession d’Espagne, de Pologne, d’Autriche ? Et cette illustre guerre de sept ans où nous nous dédommageâmes de Rosbach en signant ce fameux pacte de famille, qui n’a servi à rien qu’à entraîner l’Espagne dans quelques aventures coûteuses ? Connaissez-vous par le menu les transferts, les partages et les clauses de reversion ? Dans notre siècle, êtes-vous pénétrés de cette grande politique du congrès de Vienne, dont il ne reste que des miettes, de ces congrès de Laybach, de Troppau, de Vérone, où se décidait le sort de Naples et de l’Espagne qui ne s’en doutent guère aujourd’hui ? Avez-vous médité sur le grave incident des mariages espagnols, d’où devaient sortir de si solides alliances pour la monarchie française, laquelle, par malheur, est détruite ? Enfin, avez-vous approfondi cet abîme de la question d’Orient ? Comprenez-vous pourquoi les puissances, qui ont tant de tendresse pour le sultan, l’ont affectueusement battu et lui ont enlevé paternellement tant de provinces, afin de mieux assurer l’intégrité de son territoire ? Si vous ne tenez pas le fil de cette admirable politique, vous ne connaissez pas le fin du fin, la profondeur insondable de nos combinaisons. En un mot, vous n’êtes que de méprisables écoliers. » — « Soit ! pourrait-on répondre. Nous ne savons pas vos finesses, mais nous sommes des gens de bon sens ; nous jugeons le système par ses résultats. » Deux siècles sont peu de chose dans l’histoire de l’Europe. Ne disputons pas sur des misères, mais considérons le point de départ et le point d’arrivée de tout ce grand travail.

La voici, cette Europe, telle qu’elle est sortie des mains de la nature : petite, en comparaison des immenses continens qui l’entourent, ne formant même pas un monde distinct et capable de se suffire à lui-même, mais greffée, en quelque sorte, sur l’Asie, et puisant à l’origine dans ce vaste réservoir d’hommes, comme la greffe se nourrit de la sève de l’arbre. La voici toute en presqu’îles, et en promontoires, baignée, articulée, découpée par la mer qui semble avoir détaché ce morceau du bloc massif de l’Asie pour le ciseler avec amour. Là, dans cette atmosphère marine, sous un ciel souvent voilé de brume, les vents glacés, les chaleurs énervantes du vieux continent se tempèrent et se fondent, l’homme se redresse, la cité naît…

Certes, sur ce terrain si bien préparé, il semblait que l’ordre politique n’avait qu’à couronner l’ordre naturel, profiter de la découpure des côtes et du voisinage des mers, créer les grands centres dans les endroits les plus favorables au commerce ou à la