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seulement d’absoudre un innocent, étaient particulièrement propres à flatter la pusillanimité de l’assemblée. Elle vota d’enthousiasme l’impression des paroles prononcées par l’orateur[1]. Le lendemain, Ricard protesta avec âpreté contre la motion faite, par Champagny, de mettre hors de cause le commandant de la marine. L’assemblée dut entendre de nouveau un long et violent réquisitoire, gonflé de toutes les absurdes accusations que le Mémoire de la ville avait rassemblées contre M. de Rions. Cet officier, affirmait le fougueux député de Toulon, « a médité pendant huit jours tous les moyens qui étaient en sa puissance pour détruire les habitans qui vivaient sous sa sauvegarde… Celui qui a enfreint la terrible loi qui défend de répandre le sang des peuples, cet homme ne sera point coupable ! .. » On aurait pu objecter que l’humanité même trouve parfois son compte à l’emploi opportun de certaines mesures de rigueur, et que la meilleure manière d’épargner « le sang des peuples » est de se montrer prêt et résolu à le répandre lorsque l’ordre public et la loi menacés ne peuvent plus être sauvés qu’à ce prix. Proclamée à Marseille quelques jours auparavant, la loi martiale avait suffi à dissiper des attroupemens qui se formaient et prévenu quelque émeute[2]. Il en eût été de même à Toulon le 1er décembre, si la municipalité l’eût voulu. La proposition faite par Ricard de décerner, en forme de décret, un témoignage de la satisfaction de l’assemblée au conseil municipal, au comité permanent et à la garde nationale de cette ville, n’était donc au fond qu’un nouvel outrage adressé aux victimes de la sédition. L’audace des factieux n’allait-elle pas trouver une sorte d’encouragement dans cette absolution donnée à la coupable inertie des défenseurs de la loi ? Le projet de décret du député de Toulon mentionnait, à la vérité, en paroles élogieuses, les services militaires de M. de Rions et de ses compagnons[3]. Mais quelle réparation illusoire accordée à des hommes menacés dans leur vie et atteints dans leur liberté par le caprice d’une populace effrénée, que de rappeler seulement les titres qu’ils ont conquis sur les champs de bataille à la reconnaissance du pays ! Ces services

  1. « L’affaire de Toulon a occupé hier l’assemblée depuis deux heures et demie jusqu’à quatre heures passées. M. de Champagny… a prononcé de mémoire un discours très soigné et modéré où tantôt il excuse, tantôt il justifie M. d’Albert… On a demandé avec enthousiasme l’impression de son discours. » (Lettre de Meiffrun à la municipalité de Toulon, du 16 janvier 1790, citée par Henry, I, p. 384.)
  2. « Les députés de Marseille racontent que, le peuple s’étant attroupé et ameuté, la loi martiale a été publiée, le drapeau rouge déployé : on ordonne au peuple de se dissiper en menaçant de faire feu. On s’est dissipé, et cela a fini là. » — (Moniteur, séance du 21 décembre 1789.)
  3. Moniteur. — Séance du samedi 16 janvier, au matin.