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victime, des injures et des menaces au milieu desquelles il avait accompli son voyage, eût exposé ses doléances en termes assez vifs. Mais on ne lui permit pas de se compromettre, comme l’espéraient ses adversaires, par quelque intempérance de langage. L’assemblée refusa de l’entendre, sur l’observation judicieusement présentée par M. Charles de Lameth, qu’il faudrait aussi admettre à la barre les délégués de la garde nationale et de la commune de Toulon[1] : « ce qui serait convertir le lieu de l’assemblée en une arène où des champions viendraient vider leurs querelles particulières[2]. »

La séance du 2 janvier fut marquée par un important discours de l’abbé Maury. L’orateur insista avec force sur l’illégalité commise envers le commandant et les officiers de la marine. « Si un corps militaire quelconque avait traité de même les officiers municipaux, quelle indignation cet événement n’exciterait-il pas en nous ? .. Il faut que chaque autorité soit respectée et que l’autorité civile soit, comme les autres, maintenue dans ses bornes. » Maury ne réclamait d’ailleurs pas de châtiment contre les auteurs de l’arrestation dont il dénonçait l’illégalité, car « tous les intérêts doivent être balancés par des anges de paix. » Il demandait seulement que l’assemblée « improuvât les violences et les insurrections de Toulon » et qu’elle engageât les officiers municipaux de cette ville, « comme tuteurs de la cité, à aller prier les officiers des ports de la marine à vivre en paix avec eux[3]. »

Tout conciliant qu’il fût, ce discours souleva de vives protestations dans l’assemblée et dans la presse. La proposition, surtout, d’imposer au corps municipal de Toulon une sorte d’amende honorable indigna. « Vouloir soumettre des chefs du peuple à des réparations au nom du peuple, ce serait soumettre le peuple à une supériorité de rang qu’il ne doit pas reconnaître, ce serait même renverser l’ordre naturel des choses, car le peuple collectivement pris est le commettant des officiers, auxquels on voudrait qu’il fît des réparations, lorsqu’ils sont ses salariés. » Le journal du temps[4], auquel on emprunte ce passage, ajoute : « On a beau vouloir masquer cette affaire, on voit qu’un fond d’aristocratie s’est attaché à réprimer dans le port les idées de liberté. » Et, logiquement, il conclut, comme l’avait déjà fait Ricard dans son discours du 15 décembre[5], en conseillant à M. de Rions « de

  1. Moniteur. — Séance du 28 décembre.
  2. Lettre de Meiffrun, du 29 décembre, citée par Henry (I, p. 383).
  3. Moniteur du 4 janvier 1790. — Séance du 2.
  4. Journal historique et politique de constitution et de législation.
  5. Moniteur (séance du 15 décembre 1789). — Ricard propose « de prier le roi de retirer les officiers de Toulon… Leur propre salut existe uniquement dans leur retraite. L’insurrection subsistera tant qu’ils resteront dans leur place. Le second moyen est de nommer des officiers qui ne soient pas suspects au peuple. Le troisième moyen est de témoigner un peu plus de confiance à un peuple généreux… »