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même les armer contre les défenseurs de la patrie[1]. » C’était la thèse même du Mémoire de la ville, communiqué sans doute par les députés de Toulon, que l’avocat d’Arras produisait à la tribune, et qu’il appuyait de l’autorité naissante de sa froide et incisive éloquence. MM. Ricard et Meiffrun, l’un député de la sénéchaussée, l’autre ex-consul de Toulon, avaient été en effet chargés par la municipalité de cette ville de plaider sa cause auprès de l’assemblée. Ils s’acquittaient de ce soin avec zèle et habileté. On peut voir, dans les lettres écrites de Paris, à cette époque, par Meiffrun à ses anciens collègues du corps municipal de Toulon[2], l’activité de leurs démarches auprès des membres les plus influens de l’assemblée, tous les ressorts cachés qu’ils mettaient adroitement en jeu pour combattre la M faction albertine. » Ils s’étaient affiliés au club de la révolution et fréquentaient assidûment chez « l’adorable La Fayette[3]. » Les amis du commandant de la marine ne s’endormaient pas non plus et cherchaient, avec non moins d’ardeur, à se concilier des sympathies. L’assemblée se trouvait ainsi divisée en deux partis très animés l’un et l’autre[4], car le jugement à rendre sur cette affaire était au fond une question de doctrine. Il ne s’agissait pas seulement de savoir si M. d’Albert de Rions et ses compagnons outragés, incarcérés, détenus au mépris de la loi, obtiendraient satisfaction, mais de montrer au pays, — très attentif à ce débat, — ce que ses représentans entendaient faire du principe d’autorité : l’abandonner, comme un legs importun de l’ancien régime, ou le défendre énergiquement comme étant la sauvegarde même de la liberté.

Dans la séance du 15 décembre, Ricard prononça contre M. de Rions un réquisitoire d’une extrême violence. « Je certifie, dit-il, qu’on a préparé le combat.., qu’on a commandé aux soldats de tirer sur le peuple avant qu’on pût prévoir un soulèvement… » Malouet n’eut pas de peine à faire justice de ces affirmations téméraires : « Tous les jours, on fait de l’artifice dans le parc

  1. Moniteur du 15 décembre.
  2. Lettres publiées par Henry, I, p. 379 et suiv.
  3. Archives de Toulon. Lettre de Ricard à la municipalité, du 14 Janvier 1790 : «… Vos députés vous parleront de l’adorable La Fayette ; sa maison est le foyer du patriotisme et de la vertu ; il y préside avec une aisance, une dignité incomparables ; nous le chérissons tous, il est notre ami commun… »
  4. «… On a parlé de part et d’autre avec une extrême chaleur ; le bruit était tel qu’on avait peine à s’entendre… » (Lettre de Meiffrun du 7 décembre.) — « Une foule d’orateurs veulent soutenir la cause de la ville… La discussion sera vive et tumultueuse, on se passionne trop… » (Lettre du 19.) — «… On commencera la discussion aujourd’hui à deux heures. Je prévois que la scène sera vive… » (Lettre du 31.) — «… Il survint un tel bruit dans l’assemblée de la part des deux partis opposés, que… » (Lettre du 4 janvier 1790.)