Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

occasion. Elles révèlent cet état d’inquiétude, de malaise, d’anxiété vague et multiforme, cette fièvre chronique de soupçon qu’on a déjà eu, qu’on aura tant de fois encore l’occasion de signaler, et qui paraît bien avoir été la caractéristique de cette époque troublée. La municipalité de Lorgues décide, dans sa séance du 8 décembre que « si le besoin ou le malheur des circonstances l’exige, les habitans de Lorgues à l’envi voleront au secours des Toulonnais, au premier signal[1]. » Celle du Puget : « Considérant le danger que la cité de Toulon vient d’encourir par le fait de la conspiration tramée par les ennemis de l’État dans leur rage et désespoir forcené, a délibéré d’offrir à MM. les administrateurs de la commune de Toulon, argent, vivres, vigilance, services, forces, et par-dessus tout le patriotisme des habitans de ce lieu, qui n’aura d’autre terme que celui de leur vie[2]… » La garde nationale de Besse, le corps municipal de Draguignan offrent leurs services ; la petite ville de Pignans, « instruite des cabales et intrigues que les ennemis de la patrie font essuyer dans plusieurs villes du royaume où les aristocrates se croyent encore assez nombreux ou assez en authorité pour parvenir à leur but, » propose « une alliance défensive[3]. » Le Mémoire de la ville de Toulon, tiré à 2,400 exemplaires, a été distribué à toutes les communes importantes de France[4]. On le lit, on le commente avec passion, on y trouve de nouvelles preuves d’une vaste conspiration des aristocrates contre la liberté.

À la nouvelle des dangers que Toulon a courus par le fait de l’horrible complot que les officiers de marine ont tramé, Brest s’émeut, tremble, s’agite et prévoit pour lui-même des dangers analogues. « Nous avons appris que vous avés essuyé un choc avec MM. les officiers de la marine… Notre cause est d’autant plus commune que notre position pourrait être la même. Jusqu’ici, tous les projets de nos aristocrates ont été détruits, mais la correspondance des vôtres avec ceux-ci fomente encore quelque sujet de discorde… Nous partageons vivement vos inquiétudes et, s’il était possible que nous puissions voler à votre secours, nous vous prouverions que, de tous vos concitoyens, vous n’en avez pas de plus zélés que nous[5]. » Toulon abonde aussitôt dans le sens de cette idée absurde d’une entente secrètement formée entre les officiers des deux villes et s’excuse de n’avoir pas, dans son Mémoire, suffisamment mis ce

  1. Archives de Toulon.
  2. Ibid.
  3. Ibid.
  4. Ce détail est emprunté à une lettre adressée, le 16 janvier 1790, par la municipalité de Toulon, au député Meiffrun. (Archives de Toulon.)
  5. Archives de Toulon. — Lettre de la municipalité de Brest à celle de Toulon, du 18 décembre 1789.