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sur l’article de la discipline, n’appartenait-il pas à une caste odieuse, et de plus à cette confrérie d’officiers d’ancien régime secrètement conjurés contre la révolution ? Le peuple le tenait, le peuple ne voulait pas le lâcher ; et déjà même, s’il faut en croire un mot terrible rapporté par le vicomte de Mirabeau, l’idée que les ennemis du peuple ne sont pas faits pour être gardés, mais pour être supprimés, l’idée meurtrière dont nous allons bientôt voir le plein développement, commençait à prendre consistance dans certains esprits. Un jour que le vieux de Rions se présentait au palais pour voir son fils, les gardiens lui auraient adressé cette parole menaçante : « Vieillard, vous êtes bien âgé, mais votre fils est plus vieux que vous[1] ! »

Cependant, la nouvelle de la sédition qui venait d’éclater à Toulon était arrivée à Paris le 7 décembre. Avant même que communication des dépêches reçues eût été faite à l’assemblée, M. de Saint-Priest, sur l’ordre du roi, prescrivit la mise en liberté immédiate des officiers détenus. « Je ne puis assés vous exprimer mon étonnement, messieurs, de ce que vous ne m’avez pas mis à portée de rendre compte au roi de ce qui a trait à l’arrestation et détention de M. le comte d’Albert de Rions et de quatre autres officiers principaux de la marine de Sa Majesté. Quels que puissent en être les motifs, le roi vous ordonne de les mettre en liberté, rien n’étant plus contraire aux lois et aux décrets de l’assemblée nationale qu’une arrestation sans forme judiciaire. L’ordre public de l’administration est encore plus blessé de cette violence faite à un commandant en fonction au nom du roi. Sa Majesté fera examiner par les juges compétens tout ce qui a trait à cette affaire, afin que les vrais coupables soient punis. Mais le préalable indispensable est que M. le comte d’Albert et les quatre autres officiers détenus soient remis sans délai en liberté et rétablis dans leurs fonctions si importantes pour la marine de Sa Majesté. C’est de sa part que je vous le prescris, messieurs, à peine de la responsabilité la plus sérieuse. J’ai l’honneur d’être très parfaitement votre très humble et très obéissant serviteur[2]. »

Cette lettre fut transmise à la municipalité de Toulon par M. de Caraman, le 10 décembre. « Je ne doute pas, écrivait le gouverneur de la Provence, que vous ne m’informiés sur-le-champ de l’exécution de l’ordre de Sa Majesté. Je suis sûr de l’obéissance des habitans de Toulon et de leur fidélité à leur serment ; ainsi vous ne serés pas dans le cas d’employer les troupes que M. de Carpilhet

  1. Brochure du temps, intitulée : Opinion du vicomte de Mirabeau, membre de l’assemblée nationale, dans l’affaire de Toulon.
  2. Mémoire de la ville de Toulon, p. 61.