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empressement tracassier et haineux, des peu honorables fonctions qui lui avaient été confiées. « Combien le traitement qu’éprouve mon fils, — écrit M. d’Albert de Rions père, au maire-consul et aux membres du conseil municipal et permanent, — ne diffère-t-il pas des règlemens émanés de l’assemblée nationale elle-même pour réprimer toute rigueur qui ne serait pas nécessaire[1] ! » Le consul avait autorisé le transfert à l’hôpital de M. de Rions et de M. de Castelet, malades. Cette mesure de simple humanité excita la colère et les soupçons du peuple ; le bruit courut que le transport des deux prisonniers à l’hôpital n’avait pour but que de favoriser leur évasion ; et, malgré les supplications de l’honnête et faible Roubaud, malgré l’intervention même de M. d’André qui s’honora, cette fois, en résistant de son mieux aux exigences cruelles de la foule, il fallut les ramener aux prisons du palais[2]. « J’ai quatre-vingt-huit ans, — disait encore M. de Rions père dans une sorte de mémoire qu’il composa et fit imprimer à cette époque[3]. — J’ai un fils qui fait la gloire et l’ornement de ma vie. Il est mon ami, j’ai toujours lu dans son cœur… et la tendresse paternelle ne m’aveugle point lorsque je me permets d’attester qu’il n’est pas un meilleur citoyen que lui, et que son cœur se sent encore plus navré de douleur lorsqu’il fixe son attention sur la haine peu méritée qu’on lui témoigne, que lorsqu’il s’occupe de tous les maux qu’il vient d’éprouver… » Ce plaidoyer du vieux don Diègue en faveur de son Rodrigue ne manquait assurément ni d’éloquence ni de grandeur. Le document relate, en termes touchans, plusieurs actes qui faisaient honneur au commandant, des traits de bonté, de pauvres matelots protégés, secourus d’une main généreuse et délicate. « Comment donc a-t-il pu mériter que la plus grande partie de ses subordonnés se déchaîne aujourd’hui contre lui d’une manière aussi cruelle ? » Ces faits étaient notoires, nul ne les ignorait dans la ville. Mais quoi ! le commandant n’était-il pas inflexible

  1. Archives de Toulon. — Lettre de M. de Rions père au sujet de la détention de son fils, du 11 décembre 1789. Il s’y plaint encore de ce qu’on inflige au prisonnier le tourment de la présence permanente d’une sentinelle, non-seulement à la porte de sa chambre, mais dans la chambre même. On refuse au gendre du commandant, le marquis de Colbert, à son beau-frère, le marquis de la Devèze, à son neveu, la permission de le visiter.
  2. Archives de Toulon. — Procès-verbal du 8 décembre, signé : Roubaud et Barthélémy. — Lettre de M. d’André du 14 décembre. Il refuse de revenir à Toulon, où on l’appelle de nouveau, parce que « l’acte d’inhumanité exercé sous mes yeux à l’hôpital malgré mes prières et celles de M. Roubaud, malgré la réclamation que j’ai faite des décrets de l’assemblée nationale, ne me permet pas d’exposer encore l’autorité du roi. »
  3. Détails apologétiques rendus publics par M. de Rions, père de M. le comte d’Albert, commandant de la marine à Toulon, 10 décembre 1789.