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d’expériences à l’aide de sols artificiels laissés nus ou couverts de végétaux, et constataient que ces sols s’enrichissaient d’azote, mais ils n’en tiraient pas cette conclusion que cet enrichissement provînt de l’azote libre de l’atmosphère.

Cette réserve se conçoit aisément. Les chimistes sont habitués à considérer l’azote comme un gaz inerte ; il résiste à l’oxygène, ne s’unissant avec lui qu’en proportions minimes sous l’influence de l’étincelle électrique. On forme encore de petites quantités d’ammoniaque en unissant l’hydrogène et l’azote, quand on soumet un mélange de ces gaz non plus aux manifestations bruyantes de l’activité électrique, mais aux décharges silencieuses désignées sous le nom d’effluves et qui n’apparaissent que dans l’obscurité ; mais la résistance que présente habituellement l’azote à pénétrer en combinaison est telle, qu’on était fort étonné de voir ce gaz inerte, inclinèrent aux forces puissantes que nous mettons en jeu dans le laboratoire, céder à l’activité vitale des microbes du sol. Aussi, quelque illustre que fût le nom de M. Berthelot, quel que soit l’éclat dont rayonne l’œuvre immense qu’il a accomplie, les chimistes, flottant entre les affirmations contradictoires de deux savans de haut mérite, hésitaient à conclure, quand le problème fut abordé en Allemagne par d’autres observateurs, qui démontrèrent la fixation de l’azote atmosphérique, par action microbienne, à l’aide d’expériences décisives.

Les opinions des cultivateurs, leurs modes de travail, reposent presque toujours sur une très longue série d’observations dont on doit tenir compte ; or depuis longtemps ils avaient distingué parmi les plantes de grande culture quelques espèces qu’ils appelaient améliorantes. Ils avaient reconnu, par exemple, que lorsqu’on sème du blé ou de l’avoine sur un défrichement de trèfle et de luzerne, il n’est pas nécessaire de distribuer d’engrais et que, sans aucun apport, la récolte est en général excellente ; la terre semble avoir été enrichie, améliorée par la culture du trèfle ou de la luzerne ; en général, par la culture des espèces appartenant à la famille des légumineuses. On avait reconnu en outre, par l’analyse comme par l’emploi de ces fourrages dans l’alimentation des animaux, que ces légumineuses sont très riches en azote et que cependant les engrais azotés n’augmentent pas leur rendement.

On avait donc été conduit à supposer que les légumineuses sont capables de fixer l’azote de l’air, et c’est ce que M. George Ville affirmait avoir observé à bien des reprises différentes, mais il s’était heurté contre les expériences de M. Boussingault, qui, en opérant avec sa rigueur accoutumée, n’avait pu constater la fixation d’azote libre.

Les expériences de l’éminent professeur du Conservatoire étaient