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Salut, divin Paeon, qui règnes sur Tricca et qui as habité la douce Cos et Epidaure, et, avec toi, salut à Coronis qui t’a enfanté et à Apollon ! salut à Hygie, que touche ta main droite, et à celles dont voici les autels vénérés, Panacé, Épio et Iaso ! Salut aussi aux destructeurs du palais et des murs de Laomédon, guérisseurs des cruelles maladies, Podalire et Machaon, et à tous les dieux et à toutes les déesses qui habitent ton foyer, ô vénérable Paeon ! Montrez-vous favorables, acceptez les morceaux les plus délicats de ce coq, héraut de ma maison, que je sacrifie. Car nous ne puisons pas en abondance ni à notre gré ; autrement, ce serait, au lieu d’un coq, un bœuf ou une truie chargée de graisse, qui serait notre offrande pour les maladies que tu as guéries, ô dieu, en étendant tes douces mains. — Coccalé, dresse la table votive à droite d’Hygie. — « Ah ! ma chère Cynno, les belles statues ! »


Coccalé, qui pousse cette exclamation, se met à regarder de tous ses yeux les belles statues et les beaux bas-reliefs. Cependant, sa compagne pense à envoyer chercher le néocoros, ou sacristain. En l’attendant, toutes deux continuent à regarder les œuvres d’art qui les entourent. Au bout de quelques instans, le néocoros paraît. Il annonce, dans des termes dont l’habitude a fait presque une formule, que le sacrifice a été favorablement accueilli et présage un heureux avenir. Cynno, la plus expérimentée des deux femmes, accepte pieusement ces bonnes paroles en souhaitant qu’elle-même et son amie puissent revenir en bonne santé avec leurs maris et leurs enfans, apportant de plus belles offrandes. Puis, en se retirant, elle donne à Coccalé des instructions de dévote experte où l’on sent aussi la bonne ménagère :


Coccalé, n’oublie pas de couper avec soin la petite cuisse du coq et de la donner au néocoros ; et garde un silence religieux en mettant le gâteau dans le trou du serpent et en arrosant les pâtisseries sacrées (le reste fera notre repas à la maison) ; et, ne l’oublie pas, je veux emporter du pain de santé[1] ; donne-m’en ; car, dans un sacrifice, le pain de santé vaut mieux que la portion.


Le ton général de cette scène n’a rien de solennel. Seules, les invocations d’usage aux divinités par lesquelles elle débute et quelques paroles du néocoros ont un caractère de gravité ; mais l’impression religieuse, au sens moderne du mot, est presque nulle. C’est presque partout une conversation libre, même quand il s’agit du culte ; une des interlocutrices ne se gêne pas pour quereller sa

  1. Sans doute analogue à notre pain bénit.