Assurément, rien n’est plus saisissant que tout ce qu’a dit M. Gladstone sur la nécessité d’effacer une vieille iniquité, sur l’exemple de puissance morale que donne un grand État comme l’Angleterre, en restituant ses droits à une nation trop longtemps éprouvée. Il a donné à son bill le beau lustre d’un acte de générosité, qui serait en même temps un acte de prévoyance politique et, s’il n’a pas persuadé tout le monde dans le parlement, il est à peu près sûr d’avoir sa majorité. Malheureusement il n’est pas au bout des difficultés qu’il va rencontrer partout, sous toutes les formes, que ses adversaires s’étudient à multiplier et à aggraver. Il les rencontre déjà dans le dernier refuge de l’orangisme en Irlande, dans l’Ulster qui s’agite contre le home rule, où M. Balfour, le brillant leader conservateur, allait récemment exciter les passions de résistance et de guerre intestine. Mais ce n’est pas tout, ce n’est même là, si l’on veut, qu’un fait d’opposition partielle, locale. Une difficulté constitutionnelle plus grave est inévitable. M. Gladstone aura la majorité dans les communes, il ne l’aura pas dans la chambre des lords, citadelle du torysme, du vieil esprit orangiste. Que fera-t-il dès lors ? S’il ne fait rien ou s’il attend une occasion de présenter de nouveau son bill, il risque de décourager, de s’aliéner les Irlandais qui font sa majorité. S’il veut agir, vaincre la résistance des lords, il n’a plus d’autre ressource que de tenter la réforme de la pairie anglaise. Peut-il bien à son âge, au milieu des conflits d’opinions qui divisent l’Angleterre, engager une lutte où seraient en jeu toutes les traditions britanniques, les garanties constitutionnelles, sans compter de puissans intérêts de caste ? Voilà la question : elle est aussi sérieuse que délicate. Elle n’est peut-être pas sans laisser entrevoir pour l’Angleterre un avenir difficile.
Les grandes réformes qui touchent aux traditions, aux institutions d’un pays sont évidemment toujours graves ; elles ne sont jamais aisées, et la Belgique, quoique dans un cadre plus modeste, en fait à son tour aujourd’hui l’expérience avec cette révision constitutionnelle qui met tous les esprits, les pouvoirs publics eux-mêmes en mouvement. Réviser une constitution qui a donné soixante années de paix à un pays, modifier et étendre les conditions de l’électorat politique, le cadre même de la vie publique, c’est bientôt dit dans les polémiques, dans les discours ; la difficulté est toujours d’en venir à la réalité, à des combinaisons pratiques. Depuis six mois les deux chambres belges qui forment un parlement constituant sont occupées justement à chercher ces moyens pratiques, une formule qui puisse réunir les deux tiers des voix nécessaires. Depuis quelques semaines particulièrement, la discussion s’est engagée, non sans une certaine confusion, entre tous les systèmes. À quoi allait-on se décider ? Irait-on jusqu’au suffrage universel pur et simple que réclament bruyamment les masses populaires, — ou soumettrait-on le suffrage