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Voltaire. Le pauvre Beyle avait le travers de s’en nourrir. C’est un des faibles de Mérimée et qui me le rend ennuyeux. Il faut qu’une anecdote arrive comme autre chose dans la conversation ; mais ne mettre d’intérêt qu’à cela, c’est imiter les collectionneurs de choses curieuses, autre groupe que je ne puis souffrir, qui vous dégoûtent des beaux objets pour vous en crever les yeux par leur abondance et leur confusion, au lieu d’en faire ressortir un petit nombre en les choisissant et en les mettant dans le jour qui leur convient.


Mardi 4 mai.

Invité par Nieuwerkerke à aller entendre au Louvre un discours sur l’art ou les progrès de l’art d’un sieur R…

Grande réunion d’artistes, de moitié d’artistes, de prêtres et de femmes. Après avoir attendu convenablement l’arrivée d’abord de la princesse Mathilde et ensuite très longtemps encore celle de M. Fould, le professeur a commencé d’une voix altérée, avec un accent légèrement gascon. Il n’y a que les gens de ce pays-là pour ne douter de rien et faire un discours comme celui dont je n’ai, du reste, entendu que la moitié. Ce sont des idées néo-chrétiennes dans toute leur pureté : le Beau n’est qu’à un point donné, et il ne se trouve qu’entre le XIIIe et le XVe siècle presque exclusivement ; Giotto et, je crois, Pérugin, sont le point culminant ; Raphaël décline à partir de ses premiers essais ; l’antique n’est estimable que dans une moitié de ses tentatives ; il faut le détester dans ses impuretés ; il le querelle à propos de l’abus qu’on en a fait dans le XVIIIe siècle. Les saturnales de Boucher et de Voltaire qui, à ce que dit le professeur, ne préférait décidément que les peintures immodestes, suffisent pour faire haïr tout ce côté malheureusement inséparable de l’antique, des satyres, des nymphes poursuivies et de tous les sujets érotiques. Il n’y a pas de grand artiste sans l’amitié d’un héros ou d’un grand esprit dans un autre genre. Phidias n’est aussi grand que par l’amitié d’un Périclès… Sans le Dante, Giotto ne compte pas. Quelle affection singulière ! Aristote, dit-il en commençant, met en tête ou à la fin de ses traités d’esthétique que les plus beaux raisonnemens sur le Beau n’ont jamais fait et ne feront jamais rencontrer le Beau à personne. Tout le monde a dû se demander ce que venait alors faire là le professeur. Après avoir parlé de l’opinion de Voltaire sur les arts, il cite à son tribunal le pauvre baron de Stendhal, qui lui en eût répondu de bonnes, s’il avait pu lui répondre. Ce pauvre baron, selon lui, ne voit l’avènement du Beau moderne que quand le gouvernement des deux chambres aura fait le tour de l’Europe,