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brouillon d’un homme qui aurait du talent : il dit tout ce qui lui vient. »


Lundi 2 mai.

Boissard me dit qu’il a vu à Florence Rossini, qui s’ennuie horriblement.

Ce jour, dîné chez Pierret avec Riesener, son ami Lassus, Feuillet, Durieu. J’en ai rapporté cette triste impression, qui dure encore le lendemain et que le travail a pu seul atténuer, celle de la secrète inimitié de ces gens-là pour moi. Il y a là-dessous une ioule de sentimens, qui, par momens, ne prennent pas seulement la peine de mettre un masque… Je suis isolé maintenant au milieu de ces anciens amis !… Il y a une infinité de choses qu’ils ne me pardonnent point, et en première ligne, les avantages que le hasard me donne sur eux.

— Le protégé de David se nomme Albert Borel-Roget, fils d’Emile Roget, graveur en médailles, de talent, mort sans fortune. Il a obtenu le 1er février 1852 une demi-bourse d’élève communal au lycée Napoléon, sa mère ne peut payer les cinq cents francs de surplus et demande une bourse entière.

— « Voltaire, dit Sainte-Beuve prenant Gui Patin sur l’ensemble de ses lettres, l’a jugé sévèrement et sans véritable justice. » Voici ce qu’en dit Voltaire : « Il sert à faire voir combien les auteurs contemporains qui écrivent précipitamment les nouvelles du jour sont des guides infidèles pour l’histoire. Ces nouvelles se trouvent souvent fausses ou défigurées par la malignité ; d’ailleurs, cette multitude de petits faits n’est guère précieuse qu’aux petits esprits. »

« Petits esprits, ajoute Sainte-Beuve, je n’aime pas qu’on dise cela des autres, surtout quand ces autres composent une classe, un groupe naturel ; c’est une manière commode et abrégée d’indiquer qu’on est soi-même d’un groupe différent. »

Je crois, pour ma part, que Sainte-Beuve, qui fait partie de ce groupe d’anecdotiers antipathiques à Voltaire, a tort de lui en vouloir de ce qu’il attaque, dit-il, un groupe. Certes, les sots forment un groupe qui n’est pas plus respectable pour être plus nombreux. Il est naturel qu’on attaque ce qu’on n’aime pas, sans considérer si ce quelque chose forme un groupe ou non. Je suis, pour moi, de l’avis de Voltaire : j’ai toujours détesté les collecteurs et raconteurs d’anecdotes, celles surtout de la veille et qui sont précisément de la nature de celles qui déplaisaient à