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J’ai été voir en revenant le dernier acte de Sémiramis.

Dans la journée, Mme Villot, Mme Barbier et Mme Herbelin sont venues voir mes tableaux. Cette dernière s’est affolée des Pèlerins d’Emmaüs[1], et veut l’avoir au prix que j’avais demandé.


Mercredi 13 avril.

Il faut toujours gâter un peu un tableau pour le finir. Les dernières touches destinées à mettre de l’accord entre les parties ôtent de la fraîcheur. Il faut paraître devant le public en retranchant toutes les heureuses négligences qui sont la passion de l’artiste. Je compare ces retouches assassines à ces ritournelles banales qui terminent tous les airs et à ces espaces insignifians que le musicien est forcé de placer entre les parties intéressantes de son ouvrage, pour conduire d’un motif à l’autre ou les faire valoir. Les retouches pourtant ne sont pas aussi funestes au tableau qu’on pourrait croire, quand le tableau est bien pensé et a été fait avec un sentiment profond. Le temps redonne à l’ouvrage, en effaçant les touches, aussi bien les premières que les dernières, son ensemble définitif.


Jeudi 14 avril.

Dîné chez M. Fould. Le Moniteur a envie d’avoir de ma prose : cela tombe mal au milieu de mes occupations.

Été chez R… finir la soirée pour entendre la répétition et le choix que Delsarte fait des morceaux de son concert. Cette éternelle musique primitive, sans interruption, est bien monotone ; un air de Cherubini risqué au milieu de tout cela m’a paru un foudre d’invention.


Vendredi 15 avril.

Le préfet nous dit ce matin à notre comité où on débattait une question de cimetière, qu’à propos de l’insuffisance des cimetières de Paris, il existait un projet d’un sieur Lamarre ou Delamarre, qui proposait sérieusement d’envoyer les morts en Sologne, ce qui aurait l’avantage de nous en débarrasser et de fortifier le terrain.

J’avais été, avant la séance, voir les peintures de Courbet. J’ai été étonné de la vigueur et de la saillie de son principal tableau ; mais quel tableau ! quel sujet ! La vulgarité des formes ne ferait

  1. Cette admirable toile a figuré récemment à l’Exposition des cent chefs-d’œuvre, à la salle Petit, avec la Fiancée d’Abydos. Le prix en question était 2,000 francs.