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FRAGMENS
DU
JOURNAL D'EUGÈNE DELACROIX[1]


Jeudi 27 janvier 1853.


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Je n’éprouve pas, à beaucoup près, pour écrire, la même difficulté que je trouve à faire mes tableaux. Pour arriver à me satisfaire, en rédigeant quoi que ce soit, il me faut beaucoup moins de combinaisons de compositions, que pour me satisfaire pleinement en peinture. Nous passons notre vie à exercer, à notre insu, l’art d’exprimer nos idées au moyen de la parole. L’homme qui médite dans sa tête comment il s’y prendra pour obtenir une grâce, pour éconduire un ennuyeux, pour attendrir une belle ingrate, travaille à la littérature sans s’en douter. Il faut tous les jours écrire des lettres qui demandent toute notre attention et d’où quelquefois notre sort peut dépendre.

Telles sont les raisons pour lesquelles un homme supérieur écrit toujours bien, surtout quand il traitera de choses qu’il connaît bien. Voilà pourquoi les femmes écrivent aussi bien que les plus

  1. Ces framens sont extraits du Journal inédit d’Eugène Delacroix, commencéen 1823 et continué pendant plus de quarante ans. Nous en devons la communication à l’obligeance des éditeurs, MM. E. Plon, Nourrit et Cie, qui en préparent la publication complète.