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exemple, où nous transporte le sixième mime, la Conversation intime, nous entendons de tels propos que nous nous demandons avec quelque inquiétude où le poète nous a conduits. « Nous sommes entre femmes, » dit la maîtresse de la maison pour autoriser la liberté de son langage : l’excuse vaut ce qu’elle vaut ; elle semble cependant, avec les précautions que prennent les deux interlocutrices, indiquer un certain souci des apparences qui s’expliquerait moins bien dans l’hypothèse qui se présente d’abord à l’esprit. Coritto et son amie Métro sont deux bourgeoises vicieuses, dont le vice s’étale avec une impudeur presque naïve, tant elle leur paraît naturelle. Métro a vu chez une connaissance commune un objet qui l’a émerveillée et dont elle voudrait se procurer le pareil. Comme il avait appartenu originairement à Coritto, elle vient lui demander le nom et l’adresse du fabricant. Quel est ce précieux objet ? Le premier interprète, M. Rutherford, avait pensé que le baubon, — c’est le nom grec, — était une espèce de coiffure ; supposition qui paraît assez singulière quand on voit que l’ouvrier qui l’a fait est de son état cordonnier et travaille le cuir. M. Weil, avec le secours d’Aristophane, a reconnu qu’il s’agit d’un instrument de débauche solitaire à l’usage des femmes. Voilà le sujet qui a tenté la muse d’Hérondas, et il a employé tout son talent, soit à décrire les perfections d’un pareil chef-d’œuvre, que Coritto détaille avec une complaisance voluptueuse, soit à peindre les mœurs, les impressions, les physionomies dans ce monde peu recommandable dont l’agitation malsaine est mise sous les yeux du lecteur. La corruption de ces femmes, leurs petites intrigues entre elles, leurs cachoteries et leurs indiscrétions, l’ardeur de leurs convoitises, leur bavardage, leur légèreté et les allures de ces amitiés que noue la complicité dans le mal, tout cela se révèle et vit dans un dialogue qui ne manque ni de vivacité ni d’esprit.


Métro. — Je t’en prie, ma chère Coritto, dis-le-moi sans mentir, qui donc l’a fait, ce baubon rouge ?

Coritto. — Où l’as-tu vu, Métro ?

Métro. — Nossis, la fille d’Érinne, l’avait il y a trois jours ; un beau présent, par ma foi !

Coritto. — Nossis ? D’où le tenait-elle ?

Métro. — Tu me trahiras, si je te le dis.

Coritto. — Par mes doux yeux, chère Métro, jamais personne n’entendra de la bouche de Coritto rien de ce que tu auras dit.

Métro. — C’est Eubulé, la fille de Bitas, qui le lui avait donné, en lui recommandant que personne n’en sût rien.

Coritto. — Ah ! les femmes ! cette femme-là me fera périr. J’ai cédé à ses supplications et je le lui ai donné, Métro, avant de m’en servir