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amour subit. Depuis ce temps, il ne quitte la maison de Gyllis ni jour ni nuit ; il la supplie, il pleure, il meurt de désir. « Métricha, ma chère enfant, dit en terminant la messagère, accorde-moi cette seule faute, accommode-toi à la déesse (à Vénus)… Tu recevras plus que tu ne crois. Réfléchis, écoute-moi, moi ton amie, je t’en prie par les Parques. »

Métricha refuse avec indignation, et elle s’exprime tout d’abord avec une vivacité que ne peut contenir une bienveillance persistante pour sa vieille amie :


Gyllis, les cheveux blancs t’affaiblissent l’esprit. Par le retour de Mandris et la faveur de Déméter, je n’en aurais pas écouté ainsi une autre, mais je lui aurais appris à marcher de travers comme ses paroles et à craindre le seuil de cette porte. Pour toi, ma chère, ne viens plus m’apporter un seul mot sur un pareil sujet. Réserve pour les filles des propos qui sont faits pour les femmes mitrées[1] ; mais quant à Métricha, fille de Pythêas, laisse-la échauffer sa chaise, car nul ne se moque de Mandris.


Après avoir ainsi défendu sa dignité et celle de l’époux absent, la belle jeune femme, indulgente et douce, fait préparer une coupe de bon vin et l’offre à Gyllis. Celle-ci balbutie quelques mots d’excuse et accepte le présent, dont elle fait l’éloge : « Je n’ai jamais bu de vin plus délicieux. » Et elle part en laissant pour adieu à son hôtesse des vœux de bonheur.

La scène se passe dans l’île de Cos, où nous avons dit qu’habitait peut-être la magicienne de Théocrite. Nous remarquions dans la peinture de celui-ci quelques traits où paraissent se révéler les mœurs particulières de ces villes gréco-asiatiques. On voit encore mieux dans le mime d’Hérondas cette facilité d’habitudes, au moins chez une certaine classe. Une honnête femme est en rapports familiers avec une femme d’une conscience facile et la vertu simple s’accommode d’un milieu assez dépravé. Ces petites pièces, pour être appréciées à leur valeur, doivent être lues dans le texte. Les traductions ne rendent ni l’effet du rythme, ni l’allure vive et naturelle du langage, ni les familiarités du ton et, particulièrement, ces locutions proverbiales que le poète multiplie suivant la tradition du genre. Ces productions légères, qui valent surtout par les particularités de la forme, sont comme dépaysées en passant dans une autre langue.

Tous les intérieurs de femme peints par Hérondas ne sont pas aussi édifians que celui de Métricha. Dans celui de Coritto, par

  1. Les courtisanes seules portaient le genre de coiffure indiqué par ce mot.