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encore des pêches miraculeuses. Quant au gibier, il a été décimé. Trappeurs et chasseurs ont exterminé, pour vendre leurs peaux, les ours, les couguars, les élans, les antilopes, les bisons, les martres, les zibelines, les loutres, les castors, les rats musqués. Ils tuaient un cerf, le laissaient sur l’herbe après avoir empoisonné ses entrailles : deux jours après ils ramassaient autour du cadavre des douzaines de loups, de renards, d’hyènes intoxiqués. À Livingstone, dans les Indian Stores, on vend encore les restes de ces riches chasses aux fourrures, des serpens, des mouflons et des ours grizzly empaillés. Ce furent des hécatombes ; pendant une quinzaine d’années, les hôtes de ces bois, qui connaissaient à peine les flèches en obsidienne des Indiens, apprirent le son des carabines Winchester à balles de dynamite. Cette extermination a vite dépeuplé les halliers. Les Américains ne font rien à demi. Autrefois les troupeaux de buffles arrêtaient des trains lancés à toute vapeur. Aujourd’hui, on les compte, on sait le chiffre des survivans, et on les protège. Un cowboy a été condamné à trois ans de prison pour en avoir tué un. Entouré d’une ceinture de hautes montagnes, le Parc-National est un parc naturel pour les bêtes, qui ne peuvent émigrer ni s’échapper. Aujourd’hui, elles filent en paix des jours heureux : la chasse est rigoureusement interdite. On pose les scellés sur les boîtes à fusil et à cartouches qu’apportent les touristes leurrés d’un fol espoir. Des détachemens de la troupe campent à travers le pays pour faire respecter les ordonnances, autant que pour prévenir les embuscades des derniers Pieds-Noirs.

Toute la région est inhabitée. Elle n’a jamais eu d’indigènes, les Indiens s’étant toujours tenus à l’écart de ce pays, et parce que sa ceinture de montagnes n’est pas fort praticable, et parce que les phénomènes qui s’y produisent les remplissaient de terreur superstitieuse. Aujourd’hui on n’y rencontre, à de longs intervalles, que quelques soldats, quelques touristes qui campent, et le personnel des sept hôtels ou tentes qui marquent les étapes de la tournée, gérans, caissiers, cuisiniers, femmes de chambre, rouliers, guides. Ce sont tous des fonctionnaires. Ils relèvent du département de l’Intérieur. Leurs places sont aussi sollicitées dans les sphères parlementaires que nos bureaux de tabac ou nos postes de garçons de bureau. Elles sont presque aussi mal distribuées. Le service de ces auberges est pitoyable. Une des moindres facéties de ces hôteliers consiste à accepter des câblegrammes pour l’Europe, à encaisser le montant et à ne rien expédier. Ces agens de l’État sont généralement presque aussi étrangers que nous au pays ; ils nous fournissent peu d’observations sur le caractère