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les séductions de l’art le plus gracieux sur les constructions cyclopéennes qui sont comme le majestueux témoignage de sa force.

En continuant sous bois de longer le bord, on rencontre une troisième plate-forme avancée, sorte de mirador ou de pinacle qui sort de la forêt pour denteler la lisière. C’est un promontoire de quelques pieds de large. Le long de la côte, au-dessous des aigles qui planent, de larges blocs se sont détachés, émiettés, pulvérisés, laissant une crevasse derrière eux, et formant un peu plus bas des mamelons roses de sable fin. Vers l’est, les splendeurs du cañon se déroulent en capricieux circuits ; les premières arêtes nous masquent les développemens lointains de cette vallée béante ; à l’extrémité opposée, la vue est arrêtée par l’effrayante muraille bombée et liquide, que fait la grande cascade de la Yellowstone. La poussière d’eau remonte dans un nimbe d’arc-en-ciel, et l’écho des rochers solitaires répercute cette grande voix du fleuve. On le voit, au-dessus de sa chute, arriver des derniers plans de l’horizon, où il semble un lacet d’argent tordu parmi les roches noires et les sapinières. Quel cadre imposant et grandiose, pour ce bond gigantesque entre les parois dorées de l’abîme ! À la distance où nous sommes, le bruit est bien affaibli. La cascade est inaccessible, et les chiffres qu’on a sont des mesures trigonométriques. Longtemps la chute a mugi dans le désert, ignorée du reste de la terre, aperçue seulement des oiseaux de proie et des Indiens en fuite. Elle sera de plus en plus fréquentée, de plus en plus visitée. À Niagara, on est stupéfait par l’énorme masse d’eau qui tombe, par le développement en largeur de cette double muraille qui enserre entre ses deux hautes parois liquides le tourbillon écumant et laiteux des rapides violemment secoués à sa base. La cascade s’espace, s’étale, dans un pays d’aspect plat et morne, où l’on a dû dessiner des jardins, pour procurer quelque agrément aux visiteurs. L’attrait est celui de la quantité d’eau versée ; c’est une question de mètres cubes. À la Yellowstone, si la largeur est rétrécie, la profondeur est plus grande, et combien imposant est le tableau ! Aucun site d’Europe, ni dans les Pyrénées, ni dans les Alpes, n’approche de cette horrible et saisissante sauvagerie, où le sol déchiré, froissé, emprunte ses tons à l’or du soleil, à l’azur du ciel, aux pétales des roses, au sang des antilopes éventrées par les jaguars ou les oiseaux de proie. Cette large ouverture ne forme pas brèche, ce n’est pas une entaille laissée sous le coup d’épée de quelque géant de l’air : c’est un évasement de gracieuse forme, d’une hauteur effrayante, le long duquel aucun pied humain ne s’est aventuré.

Notre jeune Américaine émet un projet qui sent bien son