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de gouttelettes retombant en coupole que le soleil argenté. C’est le sommet du geyser souterrain qui continue à jaillir dans la cheminée du cratère. Il diminue, s’enfonce, disparaît ; des coups sourds apportent encore les dernières agitations de la masse bouillante ; puis tout cesse, les flocons de vapeur remontent doucement, et le geyser se tait pour une heure.

On fait à cheval la tournée des environs, où l’on rencontre quelques surprises encore. On passe entre d’autres constructions bizarres, dont les geysers recouvrent eux-mêmes leur orifice, la Ruche, le Lion, les Cubes, le Turban, le Splendide, l’Oblong, le Spasmodique, l’Économique, qui ne perd pas une goutte de son eau, et résorbe entièrement la colonne humide qu’il projette. Nous voici au Blake sand basin, le bassin du Sable Noir, profond entonnoir au fond duquel s’ouvre un gouffre plein d’eau. Les parois de la cuvette et le sol lui-même sont faits d’un gravier gris, pareil à des escarbilles écrasées. La profondeur de ce ravin est telle qu’on y descend à cheval par un sentier en lacet. On arrive, en bas, au bassin d’eau verte et dorée, sous laquelle on aperçoit les rocailles verdâtres et souples formées par les dépôts.

Au milieu d’une clairière fume le Bol de Punch : les Américains ont ainsi mêlé les souvenirs de la vie matérielle à la poésie de la nature. Une margelle rocailleuse, haute de deux mètres, entoure et contient un splendide lac d’eau mordorée et fumante, dont les teintes expliquent l’analogie qu’on y a trouvée.

Mais les merveilles du coloris et de la poésie pittoresque nous attendent derrière un rideau de verdure, dans un bosquet où la nature semble avoir voulu les soustraire à la profanation. C’est un petit bois que la rivière enserre et isole dans une boucle de son cours. On y entre sur trois bouleaux branlans jetés entre les rives. Des bassins merveilleux égaient chaque clairière, loin des hommes et des regards. La nature s’est parée pour elle-même et pour les écureuils, les oiseaux blancs des arbres, les insectes de l’herbe. Approchez du Sunshine Lake (lac de la Clarté du Soleil). C’est un éblouissement. Les bords sont dorés en deux tons, en deux ors, l’un fauve et foncé, l’autre éclatant et clair. Les berges s’enfoncent sous l’eau en formant des bandes circulaires de teintes fondues et indéfinissables, du blanc au bleu, du jaune au vermillon. Des coins de rocailles, par le caprice des tons, sont tricolores comme un lambeau de notre drapeau. Toutes les nuances de la palette s’étagent sur les flancs du bassin, que noie une eau couleur d’émeraude. C’est aussi le nom du lac voisin, l’Émeraude, d’une transparence verdâtre qui laisse apercevoir les pentes des formations, pareilles à de vastes floraisons aquatiques. De grosses bulles d’argent