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centre, des jets « n artichaut, des bouches étroites qui percent un amas de rochers dont les arcades, les déchirures laissent échapper une odeur de soufre avec des bruits lointains et étranges dans des bouffées de vapeur. Il y en a de grands, de minuscules, de droits, d’inclinés. En voici un qui jaillit horizontalement comme une gueule de bronze crache dans un bassin. On en découvre partout. On tourne un bosquet, on tombe sur une vasque fumante. Tout ce pays repose sur des nappes d’eau chaude, et la croûte est mince. On fait des trous avec une canne, et il sort un jet de vapeur. On marche dans une buée. On dirait un champ de bataille abandonné après un incendie qui aurait dévoré plusieurs hectares, et qui fumerait encore. Ce sont partout des bassins chauds et clairs, des jets bruissans, des gerbes évasées, des colonnes de fumée, droites ou rasantes. Quelques herbes jaunes essaient encore de pousser dans les restes de terre végétale ; des nuées de grosses sauterelles s’y délectent.

Sous le sol on entend des bruits sourds, un vacarme d’eaux secouées, de bouillons, de trépidations, de soupapes humides. De temps en temps, une fusée éclate : c’est un geyser qui part à son heure. Chacun a en main l’horaire des éruptions ; elles sont d’une exactitude qui est presque une politesse. Au moment voulu, tous les touristes s’approchent, font le cercle, guettent les premiers jets, arment leurs kodaks et photographient la gerbe d’eau dès qu’elle fait son apparition.

Ici c’est un bassin clair et profond, là un cratère en geysérite blanche ou en lave noire et friable, ou en roches jaunes et rouges. L’Encrier du Diable soulève lourdement de la boue noire, comme si, au fond de cette mare fangeuse, quelque monstre invisible, en se tordant et en se retournant, produisait les boursouflures et les dépressions de la surface. À côté, le bassin Émeraude est d’une limpidité sans égale. L’œil plonge sans obstacle jusqu’à des profondeurs insondables, comme si cette eau était de l’air pur ; il distingue jusqu’au fond les festons délicats des formations, les végétations dentelées, l’entrée noire de la caverne qui s’ouvre sous l’entonnoir, et l’eau colore toute cette vision d’une teinte verte de béryl, la plus douce aux regards. Partout ce sont des crevasses rugissantes, comme des plaies du sol qui crieraient, des entailles qui seraient des gueules hurlantes. Les voix sont stridentes, mugissantes, avec des gloussemens humides et des éclats soudains quand arrive l’heure de l’éruption. Alors la vapeur se condense ; il pleut des gouttes tièdes. Certains cratères ont une telle force de propulsion que la masse d’eau, en retombant, fait trembler la terre à la Bonde. Ils ont quelquefois des formes étranges de coquilles ou d’oreilles. Le sol est fait de dépôts cassans, de